Pollution plastique : les enjeux du sommet de Genève, où 180 pays négocient pour parvenir à un traité
La dernière session de discussions s'est soldée par un échec cinglant à Busan, en Corée du Sud, fin 2024. Le contexte actuel, sur fond de tensions géopolitiques et commerciales exacerbées, ne prête pas à l'optimisme.
Les négociations de la dernière chance ? Les représentants de près de 180 pays se réunissent mardi 5 août à Genève, en Suisse, sous l'égide de l'ONU. Ils ont dix jours pour tenter d'écrire ensemble le premier traité mondial visant à réduire le fléau de la pollution plastique, qui menace d'asphyxier la planète. Tous les protagonistes ne sont cependant pas sur la même ligne. Franceinfo vous résume les enjeux de ce sommet.
Près de 100 pays, dont la France, réclament un traité "ambitieux"
L'enjeu de cette session supplémentaire de négociations intergouvernementales, baptisée "CIN5-2", est crucial. Faute d'avancée, la consommation mondiale de plastique pourrait tripler d'ici 2060, selon les projections de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) publiées en 2023. Chaque année, environ 460 millions de tonnes de plastique dans le monde, dont la moitié à usage unique. Moins de 10% des déchets plastiques sont recyclés. Or, en se décomposant en micro et nanoplastiques qui contaminent les écosystèmes, les polymères pénètrent jusque dans le sang et les organes humains, selon des études récentes.
Face à cette situation, un groupe de 96 pays, des petits Etats insulaires au Zimbabwe, en passant par les 27 membres de l'Union européenne, le Mexique ou le Sénégal, ont appelé, lors de la conférence onusienne sur les océans à Nice en juin, à un traité "ambitieux" sur la pollution plastique. "Nous demandons l'adoption d'un objectif mondial visant à réduire la production et la consommation de polymères plastiques primaires à des niveaux durables", écrivent les signataires de ce texte, qui représentent plus de la moitié des 180 pays impliqués dans les négociations.
La France fait partie des pays moteurs. Cette déclaration est "importante" parce que des pays "essayent de nous faire croire que c'est en agissant sur la collecte, le tri et le recyclage que nous allons mettre un terme à la pollution plastique", a déclaré en juin la ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. "Ceci est un mensonge, nous n'avons pas, nous ne pouvons pas soutenir ce mensonge", a-t-elle ajouté.
Selon Marie-France Dignac, la directrice de recherche à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), il faut en effet prendre le problème à la racine et réduire au maximum la production de plastique. "Tous les modèles scientifiques et les modèles de l'OCDE le montrent : plus on produit, plus on pollue", a-t-elle affirmé, sur France Inter, lundi. "On ne peut pas imaginer que le recyclage puisse résoudre ça", a renchéri le directeur des affaires publiques de la Fondation Tara océan, Henri Bourgeois-Costa, invité de la même émission.
La limitation de la production, principal point de blocage
La partie est loin d'être gagnée. La dernière session de négociations s'est soldée par un échec cinglant à Busan, en Corée du Sud, fin 2024. Plusieurs centaines de points de désaccord, loin d'être tous résolus aujourd'hui, avaient alors entravé le projet de traité. Le plus crispant ? L'inscription dans le traité d'une limitation de la production de plastiques neufs. Des pays pétroliers, comme l'Arabie saoudite, l'Iran ou la Russie, s'y opposent farouchement. Autre point d'achoppement, l'établissement d'une liste de produits chimiques jugés "problématiques" pour la santé ou l'environnement : les PFAS (ou "polluants éternels"), les perturbateurs endocriniens, les phtalates, ou encore les bisphénols.
Les lobbies du plastique, présents au sommet, veillent au grain. Matthew Kastner, porte-parole du Conseil américain de l'industrie chimique, présent à Genève, a ainsi défendu le plastique et ses avantages pour les sociétés modernes. Il est "vital pour la santé publique" a-t-il affirmé, évoquant les équipements médicaux stériles, masques chirurgicaux, tuyaux, tubes, emballages, qui permettent d'améliorer l'hygiène et la sécurité alimentaire.
Quelques lueurs d'espoir, malgré tout
Après l'échec de 2024, le contexte actuel ne s'avère guère propice aux négociations, sur fond de tensions géopolitiques et commerciales exacerbées. En discussion depuis trois ans, ce texte "juridiquement contraignant" pour les Etats "n'arrivera pas automatiquement", a prévenu, dès lundi, le diplomate qui préside les débats, l'Equatorien Luis Vayas Valdivieso. "Le temps presse, l'urgence est réelle", a-t-il renchéri lors de l'ouverture officielle du sommet, mardi.
"La preuve est claire et la responsabilité repose sur nous."
Luis Vayas Valdivieso, président des débats à Genèvedans un discours lors de l'ouverture du sommet
Quelques lueurs d'espoir demeurent. "Il y a eu beaucoup de diplomatie depuis Busan", a assuré à l'AFP la directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Inger Andersen, qui organise les débats. "La plupart des pays à qui j'ai parlé ont dit qu'ils venaient à Genève pour trouver un accord", a ajouté la diplomate danoise, rompue aux négociations environnementales compliquées. "L'engagement de tous est évident et l'air est rempli d'optimisme", a assuré Luis Vayas Valdivieso, sur X, samedi.
Les ONG et les scientifiques font monter la pression
Tribunes, happening, publication d'études... Partout à travers la planète, des ONG s'activent pour mettre la pression sur les Etats. "Lors de cette négociation finale, les gouvernements doivent agir dans l'intérêt des gens, pas des pollueurs", a ainsi martelé Graham Forbes, de Greenpeace, qui dénonce la présence massive des lobbyistes de l'industrie fossile.
Des leçons ont été apprises" depuis Busan, promet pour sa part Luis Vayas Valdivieso. Il assure que les organisations non gouvernementales et la société civile auront un droit d'accès aux groupes de contact où sont négociés les points les plus épineux du texte.
Des chercheurs et médecins de renom tirent également la sonnette d'alarme dans un rapport paru lundi dans la revue médicale The Lancet. "Les plastiques provoquent des maladies et des décès de l'enfance à la vieillesse, et sont responsables de pertes économiques liées à la santé dépassant 1 500 milliards de dollars (environ 1 300 milliards d'euros) par an", écrivent les auteurs. Une "crise mondiale" qui représente selon eux un "danger grave, croissant et sous-estimé".
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