"Je me suis laissé envahir par cette perversion" : au sixième jour de son procès, l'introspection de Joël Le Scouarnec

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Joël Le Scouarnec dans le box des accusés pendant son interrogatoire de personnalité, le 3 mars 2025, lors de son procès devant la cour criminelle du Morbihan. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Joël Le Scouarnec dans le box des accusés pendant son interrogatoire de personnalité, le 3 mars 2025, lors de son procès devant la cour criminelle du Morbihan. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Longuement interrogé lundi sur sa personnalité par la présidente de la cour criminelle, l'accusé s'est montré loquace. Pour autant, il n'a pas réussi à donner de raison à son basculement dans la pédocriminalité.

"Comprendre pourquoi je suis devenu un pervers pédophile." C'est à cette "introspection" que Joël Le Scouarnec assure se livrer, encore aujourd'hui. L'ex-chirurgien, accusé de viols et d'agressions sexuelles entre 1989 et 2014 sur près de 300 patients, principalement mineurs, l'a confié face à la cour criminelle du Morbihan, lundi 3 mars, lors de son interrogatoire de personnalité.

Quand la présidente Aude Buresi lui demande à quel "événement personnel" il relie la "découverte" de sa "pédophilie", l'accusé revient sur les violences sexuelles commises sur l'une de ses nièces, pour lesquelles il a été condamné en 2020. "C'était une gamine dissipée, elle était turbulente. Elle se faisait souvent gronder par ses parents et venait se réfugier vers moi. C'est là que j'ai commencé à avoir des gestes malencontreux", développe-t-il. Et de repréciser après une question de l'un des avocats des parties civiles : "de commettre des attouchements".

"Comment vous l'expliquez ?", enchaîne la présidente de la cour criminelle. "Je ne sais pas", répond Joël Le Scouarnec, debout dans le box des accusés, cheveux blancs et haut du crâne dégarni. Le visage fermé à la reprise de l'audience, alors que commence la deuxième semaine de son procès, l'ex-chirurgien avait brièvement pris la parole une première fois. "Aujourd'hui, je me sens prêt à reconnaître certains faits de viols que j'ai voulus cacher ou nier. J'en ai fini du mensonge", a-t-il déclaré avant d'être interrogé sur son enfance

"Je n'ai jamais rien trouvé dans mon passé"

"Je n'ai jamais fait de sport de ma vie, je détestais ça. Je n'ai pas de souvenirs d'activités, hormis la lecture", se souvient Joël Le Scouarnec. "Vous lisiez tout seul dans votre chambre ?" L'accusé acquiesce et précise avoir établi "une liste de tous les livres" qu'il possédait. Il se remémore aussi "être allé à des cours de catéchisme", parle de deux copains à l'école. "Dans les sciences naturelles, j'avais d'excellentes notes. Pour le reste, j'étais médiocre", précise-t-il. Il soutient que ce sont les seuls souvenirs qu'il a gardés de sa jeunesse.

"Tous les épisodes du début de mon enfance, je ne les ai pas conservés en mémoire. Ils m'ont été rapportés", assure Joël Le Scouarnec. Y compris au sujet du caractère de son père, qu'il décrit comme "coléreux" et parfois violent. "Comment expliquez-vous avoir effacé des pans de votre mémoire d'enfance ?", relance la présidente Aude Buresi. "Je ne sais pas, je n'ai jamais pu apporter de réponse." La magistrate, qui s'exprime d'un ton doux mais insistant, se demande s'il n'y a pas un "lien" à faire avec un "traumatisme". "Je n'ai jamais rien trouvé dans mon passé qui laisse penser que ça puisse expliquer mon comportement ultérieur", maintient Joël Le Scouarnec.

"Il y avait deux personnes, le pédophile et le père"

L'interrogatoire se poursuit sur son parcours de chirurgien. Une vocation professionnelle qu'il a eue assez tôt : "Un jour, j'ai demandé à mon père quel était le métier qu'il aimait le plus. Il a réfléchi et il a fait quelques propositions, parmi lesquelles il y avait sans doute chirurgien." Passionné de biologie, il s'essaie aux dissections dès l'adolescence. A l'âge adulte, Joël Le Scouarnec entame des études de médecine à Paris, puis décide de partir dans la région de Nantes pour son internat. Il est externe lorsqu'il rencontre sa future épouse, Marie-France, dont il est aujourd'hui divorcé et qui a témoigné à la barre mercredi.

La présidente de la cour criminelle s'attarde sur le couple qu'ils formaient, et "la dégradation" de leur relation en 1984 et 1985. "Je me suis progressivement enfermé", lâche l'accusé. Qui précise : "Je me suis laissé envahir par cette perversion. Au fur et à mesure que grandissait mon attraction pour cette perversion, diminuaient mon attirance pour elle et les actes sexuels." Avant cela, trois fils sont nés de leur union. Joël Le Scouarnec était-il présent pour eux ? "Pas assez, reconnaît-il. J'avais une profession qui me passionnait. Même quand je n'avais pas besoin d'aller au bloc opératoire, j'y allais."

"J'étais un chirurgien ayant un comportement normal. Et à côté, j'effectuais des actes pédophiles."

Joël Le Scouarnec

à l'audience

A-t-il pu, dans ces conditions, "être un pédophile et un bon père" ? La présidente Aude Buresi, qui rappelle les fantasmes qu'il a eus sur ses enfants, soulève la contradiction et lui pose la question. "Il y avait deux personnes : le pédophile et le père. Il y avait une scission entre les deux", assure l'accusé, qui parle d'"une dissociation totale".

"Aujourd'hui, je veux assumer ma responsabilité"

Joël Le Scouarnec et son épouse finissent par faire chambre à part. "Quand a-t-elle su que vous étiez pédophile ?", lui demande la présidente de la cour criminelle du Morbihan. "En 1996, elle m'a parlé d'un regard appuyé de ma part sur une petite fille. C'est à partir de là que je me suis dit : 'Elle est au courant de tout.' Dans ma paranoïa, je me suis dit : 'Ça y est, il y a quelque chose qui fait qu'elle me suspecte.'" "Vous aviez peur que votre épouse vous dénonce, ce qui explique que vous n'avez pas divorcé ?", rebondit Aude Buresi. L'accusé dément.

Pourtant, dans les années 2000, chacun part vivre de son côté, tout en restant mariés. A partir du moment où il vit seul, Joël Le Scouarnec s'isole davantage, sombre "dans la désocialisation et la négligence", jusqu'à laisser de la "moisissure sur les murs". Il boit du whisky le soir, bascule dans l'alcoolisme. "J'en suis arrivé à boire un demi-litre par jour", rapporte-t-il d'une voix égale. Les poupées qu'il collectionne envahissent les pièces de son domicile et sa "perversion" prend toute la place dans son quotidien. En 2005, il est condamné pour détention d'images pédopornographiques, tandis que les faits pour lesquels il comparaît se poursuivent.

"Ma vie, c'étaient les sites pédocriminels, les sites pédopornographiques."

Joël Le Scouarnec

à l'audience

Le 24 avril 2017, il s'en prend à sa petite voisine de 6 ans, qu'il viole. Un crime qu'il n'avait jamais reconnu malgré sa condamnation. "Aujourd'hui, je veux assumer ma responsabilité, quelle que soit la nature de ce que j'ai pu faire", explique-t-il. C'est aussi le point de départ de l'enquête tentaculaire, qui conduit par la suite à découvrir ses carnets, dans lesquels il révèle les sévices dont il est accusé, quasiment année après année. Joël Le Scouarnec est placé en détention provisoire, où il prend "progressivement" conscience "de la gravité des faits". "C'est une nécessité pour tenter de comprendre pourquoi je suis devenu comme ça", affirme-t-il.

"Quel est, aujourd'hui, l'objet de votre désir sexuel ?", s'enquiert la présidente Aude Buresi. "Les enfants ont disparu de cette sphère. J'avoue que je regarde sur Canal+ le film X car ma vie sexuelle ne s'est pas éteinte", répond-il. Des déclarations sur lesquelles les avocats des parties civiles reviennent, tant ils ont du mal à le croire. "Je n'ai plus aucune attirance d'ordre sexuel vis-à-vis des enfants", insiste l'accusé. "Tout être humain a le droit de devenir meilleur", martèle-t-il face à sa défense, après cinq heures d'un interrogatoire qui reprend mardi.

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