Témoignage "Je suis marquée au fer rouge" : Virginie, victime de Joël Le Scouarnec, espère "tourner la page" en étant entendue au procès

Article rédigé par Clara Lainé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Virginie, 45 ans, rencontrée en février 2025 dans l'Indre, a appris en 2019 par un appel de la gendarmerie qu'elle faisait partie des victimes de Joël Le Scouarnec. Les faits remontent à 1990. (FRANCEINFO / CLARA LAINE)
Virginie, 45 ans, rencontrée en février 2025 dans l'Indre, a appris en 2019 par un appel de la gendarmerie qu'elle faisait partie des victimes de Joël Le Scouarnec. Les faits remontent à 1990. (FRANCEINFO / CLARA LAINE)

Cette quadragénaire fait partie des 299 anciens patients et patientes qui accusent Joël Le Scouarnec de viols et d'agressions sexuelles aggravés. Au côté de son conjoint, elle a accepté de se confier à franceinfo, avant de témoigner à la barre jeudi.

Il y a d'abord eu les larmes, puis les cris, les mains crispées sur le volant. Ce soir de novembre 2019, la rage au ventre, Virginie avale les kilomètres pour retrouver au plus vite Arnaud, son conjoint. Elle doit lui parler, lui raconter ce coup de fil, ce coup de massue qui vient de bouleverser sa vie. Cinq ans plus tard, il continue de la hanter.

Jeudi 6 mars, Virginie reprend la route depuis l'Indre où elle réside, cette fois en direction de la cour criminelle du Morbihan, pour témoigner aux côtés des centaines de victimes de Joël Le Scouarnec. Face aux magistrats, il va lui falloir replonger dans cette nuit.

"Je fais partie des carnets ?"

Ce soir-là, il y a plus de cinq ans, elle est en plein milieu de son service lorsque le téléphone sonne. L'aide-soignante, alors âgée de 39 ans, est en train de gérer le repas d'adolescents handicapés quand la voix d'un gendarme la stoppe net, lui demandant sans plus de détails si elle a été opérée de l'appendicite à l'âge de 9 ans. Immédiatement, Virginie se fige. "Je fais partie des carnets ?" demande-t-elle alors spontanément, redoutant déjà la réponse. Elle sait que le chirurgien qui l'avait prise en charge quand elle était enfant est Joël Le Scouarnec, dont les journaux parlent depuis des mois pour décrire les actes pédocriminels dont il est accusé. Pourtant, malgré les détails, elle n'en a aucun souvenir. "Les faits sont très graves", lui glisse l'enquêteur, toujours au bout du fil, laissant Virginie seule face au vertige de l'inconnu. 

Virginie, partie civile dans le procès de Joël Le Scouarnec, dans une commune de l'Indre, le 24 février 2025. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)
Virginie, partie civile dans le procès de Joël Le Scouarnec, dans une commune de l'Indre, le 24 février 2025. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)

Dans sa voiture, sur le chemin du retour, elle se demande pourquoi elle, pourquoi maintenant, alors qu'elle est devenue mère de deux enfants, qu'elle est en train d'acheter une maison, qu'elle s'épanouit dans son métier, qu'elle est amoureuse, heureuse.

Surtout, elle se demande pourquoi... encore. A 5 ans, Virginie a déjà été violée par sa nourrice. De cette première agression, elle garde le souvenir intact. Virginie ne comprend pas pourquoi, cette fois, c'est le trou noir. "Est-ce que cela s'est passé en salle de réveil ? Où était ma mère à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a eu viol, attouchement ? Est-ce que mes souvenirs vont revenir un jour ? Pourquoi aucun adulte ne m'a protégée ?"

Une "boîte à souvenirs" verrouillée

Aujourd'hui, quelques jours avant de témoigner au procès, Virginie, installée dans son salon, égrène les questions qui l'ont hantée, dont certaines demeurent toujours sans réponse. A côté d'elle, son conjoint tire nerveusement sur sa cigarette électronique. Arnaud l'écoute, silencieux, tandis qu'elle déroule le fil de cette nuit, de cet aller simple vers la douleur. Depuis plus de cinq ans, elle tente d'en revenir. 

L'horreur a atteint son apogée trois semaines après le coup de fil, au moment de sa convocation à la gendarmerie. Le 21 décembre 2019, on lui propose de lire l'extrait qui la concerne, dans le carnet. 

“C'est à ce moment-là que je sens que je deviens un objet, sa chose, et je m'écroule."

Virginie, victime de Joël Le Scouarnec

à franceinfo

Virginie est au bord de la nausée. "Il commence par 'Ma jolie Virginie'. Et ça va de pire en pire : 'Je te caresse, je te pénètre'. Je sens sa jouissance." Elle décide de déposer plainte. Au-delà des faits et des fantasmes, c'est la mise en scène de ce viol sur une fillette, l'écriture "à l'eau de rose" qui la tétanisent. Mais pour Virginie, "la boîte à souvenirs" demeure verrouillée, même après avoir eu accès à tous les détails. "Et pourtant, à partir de là, je suis marquée au fer rouge", constate-t-elle aujourd'hui, amère.

"Je me force à tenir parce que je suis maman" 

Cette marque va tout consumer sur son passage. Trois mois après son audition, alors que Virginie fait du sport, une douleur au dos, fulgurante, la plie en deux. Son médecin l'arrête, lui prescrit un traitement. Mais quand elle tente de reprendre le travail, le mal de dos est toujours là, insidieux. Jusqu'au jour où elle ne peut plus se lever. La veille, sans le savoir, elle a franchi pour la dernière fois les portes de son service. Pour elle, pas de doute, cette douleur croissante est une conséquence indirecte de l'annonce : "Même si j'ai toujours eu des petits soucis de dos à cause de mon métier, le choc psychologique de la convocation n'a pas arrangé les choses !" Quelques semaines plus tard, en mars 2020, le confinement est déclaré : la France est à l'arrêt, Virginie perd pied.

Virginie, ici en février 2025, tombe dans les troubles du comportement alimentaire pendant le confinement, en mars 2020. (FRANCEINFO / CLARA LAINE)
Virginie, ici en février 2025, tombe dans les troubles du comportement alimentaire pendant le confinement, en mars 2020. (FRANCEINFO / CLARA LAINE)

Seule avec ses deux enfants, alors âgés de 5 et 9 ans, elle tente péniblement de faire face. Son conjoint, soignant dans un Ehpad, n'est pas présen t la journée pour l'épauler. "A cette époque, je me force à tenir parce que je suis maman", souffle-t-elle. Les journées s'étirent, rythmées par les devoirs. Elle cuisine des gâteaux, beaucoup. Trop. La nourriture devient son refuge. "J'ai voulu m'enlaidir inconsciemment, vu que Joël Le Scouarnec dit dans son carnet que c'est ma minceur qui lui plaît", analyse-t-elle. En quelques mois, elle prend plus de 20 kilos.  

“Je me déteste, je me trouve dégueulasse, tout est pourri en moi.”

Virginie, victime de Joël Le Scouarnec

à franceinfo

Entre Arnaud et elle, la distance s'installe. Comment lui dire qu'elle pense sans cesse à cette page d'horreur ramenée de la gendarmerie et enfermée dans une boîte en fer, au fond du placard ? "A chaque fois que je me touche ou que je vais aux toilettes, ça revient, c'est atroce. C'est tout le temps", relate-t-elle. Elle esquive le regard de son conjoint, assis à l'autre bout du canapé. "Je n'avais plus de désir, ni pour toi, ni pour moi. Mon corps était sali."

"Je voulais juste que ça s'arrête" 

En septembre 2020, une issue à la douleur, au moins physique, semble se profiler : on lui propose une infiltration. Malheureusement, l'intervention tourne au cauchemar. Le diagnostic tombe : invalidité entre 50 et 80%. L'espoir de reprendre un jour le travail s'amenuise, laissant le champ libre à la dépression. Et cette fois, même ses enfants ne suffisent plus à maintenir Virginie à flot. Les cigarettes s'enchaînent, les kilos s'accumulent et son lit devient son seul refuge. "Ce sont deux années d'errance", résume-t-elle.  

A partir de septembre 2020, le quotidien de Virginie est rythmé par la dépression. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)
A partir de septembre 2020, le quotidien de Virginie est rythmé par la dépression. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)

Arnaud prend le relais, gère le quotidien. Il encaisse, mais doute de son couple. "Je voulais partir, je ne la supportais plus", lâche-t-il, les yeux dans le vide. "La dépression, c'est horrible à côtoyer." Leurs enfants ne comprennent pas pourquoi leur mère a cessé de s'occuper d'eux. Alors, les rares fois où Virginie parvient à sortir de sa chambre, elle essaie d'expliquer, de trouver les mots pour justifier son état.  

"Je leur ai raconté qu’un monsieur m’avait fait bobo à des endroits où il ne fallait pas."

Virginie, victime de Joël Le Scouarnec

à franceinfo

Plus tard, elle posera le mot "viol". Mais pas tout de suite : les enfants sont encore trop jeunes, et surtout, l'urgence, c'est de survivre. "Je n'étais plus rien. Plus une amoureuse, plus une maman, plus une aide-soignante. Juste une boule de douleur. Je voulais que ça s'arrête." En avril 2022, les idées noires deviennent trop envahissantes : Virginie demande à être hospitalisée. Elle passe trois mois en psychiatrie. Avec sa psychologue, elle parle des carnets, de son rapport compulsif à la nourriture, de la dépression... 

"Je reviens doucement à la vie"

En juillet, Virginie rentre enfin chez elle. Arnaud, qui rêvait de retrouver sa compagne "d'avant", se rend vite à l'évidence : la dépression a laissé des traces. Fatiguée, encore engourdie par son lourd traitement médicamenteux, Virginie peine à retrouver ses marques. Elle évoque la sensation d'arriver sur "un bateau qui tangue". Son équilibre, d'abord précaire, s'améliore au mois de septembre. La rentrée de ses enfants lui donne un nouvel élan. Elle ressent l'envie de se lever avant eux pour leur préparer le petit déjeuner.  Une routine s'installe : vélo d'appartement, ménage, cuisine… En décembre, avec Arnaud, ils prennent la décision d'arrêter de fumer. "Je reviens doucement à la vie", confie la quadragénaire. 

Mais l'affaire Le Scouarnec ne cesse de ressurgir. Comment tourner la page quand la justice l'oblige à relire son propre cauchemar ? "On a reçu le dossier en une dizaine d'exemplaires", soupire Virginie.

L'ordonnance de mise en accusation du dossier de Joël Le Scouarnec contient plus de 700 pages. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)
L'ordonnance de mise en accusation du dossier de Joël Le Scouarnec contient plus de 700 pages. (CLARA LAINE / FRANCEINFO)

Quelque 700 pages d'horreur livrées en recommandé, pour des questions de procédure. "Quand je vois arriver la factrice, maintenant, mon ventre se noue", lâche-t-elle. Arnaud, lui, fulmine. " Le dernier exemplaire du dossier est arrivé juste avant Noël... Sacré cadeau !"

Entre angoisse et espoir

Depuis l'ouverture du procès, le 24 février, ce ne sont plus seulement les courriers qui ravivent la douleur : l'affaire inonde les médias.  Chaque article, chaque reportage ramène Virginie à son propre témoignage, à ce 6 mars où il est prévu qu'elle prenne la parole devant le tribunal. Arnaud aussi sera présent pour raconter "ce que Joël Le Scouarnec a cassé entre [eux]". A l'approche de ce moment, Virginie sent qu'il y a une forme de rechute : "Je dors mal, les troubles alimentaires reviennent."

Pour tenter de s'y préparer au mieux, elle a pris rendez-vous avec son avocate, Louise Aubret-Lebas, le 22 février. Ce moment a profondément ébranlé son conjoint. "Ça m'a fait réaliser à quel point ce type [Joël Le Scouarnec] fait partie du décor depuis des années et à quel point il t'a fait du mal", souffle-t-il, les yeux embués.

"Je l'ai senti à ton attitude, à ta voix, à ton expression. Tu étais une petite fille terrorisée à l'idée du monstre à venir."

Arnaud, conjoint de Virginie

à franceinfo

A quelques jours de son témoignage, une autre question hante Virginie : et si les souvenirs refaisaient surface ? Elle oscille entre angoisse et espoir. "Au fond de moi, j'aimerais que la boîte s'ouvre. Je préférerais m'en souvenir, même si je sais que ma mémoire me protège." Elle espère aussi que revoir Joël Le Scouarnec lui permettra de "tourner la page".

Mais Virginie sait que l'épreuve ne sera pas uniquement synonyme de soulagement, qu'elle va être affectée. C'est pourquoi elle a tenu à préparer son fils, âgé de 12 ans. "Je lui ai dit : 'Tu sais, maman va être très triste pendant quelque temps. Ça ne va pas durer, mais ça va être difficile. Et après, ça ira.'" Une promesse autant qu'un espoir.


Si vous êtes un enfant en danger ou un adulte témoin d'une situation où un enfant est victime de violences sexuelles, physiques ou psychologiques, ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d’accueil téléphonique, confidentiel et gratuit : le 119 (ouvert 24h/24, 7j/7, numéro non visible sur les factures de téléphone, possibilité d'envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d'entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr). Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site allo 119.
Si vous êtes victime de violences sexistes et sexuelles, vous pouvez appeler le 3919. Le numéro est gratuit, anonyme, ouvert 24h/24 et 7j/7, accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

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