Guerre en Ukraine : Vladimir Poutine se prépare-t-il vraiment à attaquer un autre pays européen, comme l'affirme Volodymyr Zelensky ?

Le président ukrainien estime que la Russie ne va pas attendre la fin de la guerre en Ukraine "pour ouvrir une autre voie", selon des confidences faites au journal "The Guardian".

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des soldats polonais se tiennent à côté d'un véhicule blindé équipé du système de drone Gladius, à Orzysz, le 17 septembre 2025, dans le nord-ouest de la Pologne. (WOJTEK RADWANSKI / AFP)
Des soldats polonais se tiennent à côté d'un véhicule blindé équipé du système de drone Gladius, à Orzysz, le 17 septembre 2025, dans le nord-ouest de la Pologne. (WOJTEK RADWANSKI / AFP)

Volodymyr Zelensky invite l'Europe à rester sur ses gardes. "Poutine n'attendra pas la fin de sa guerre en Ukraine. Il ouvrira une autre voie. Personne ne sait où. C'est ce qu'il veut", prévient-il auprès du quotidien britannique The Guardian, samedi 27 septembre, après sa rencontre à l'ONU avec Donald Trump.

La déclaration suscite d'autant plus d'inquiétude que plusieurs pays européens ont accusé la Russie d'avoir violé leur espace aérien avec des drones et des avions de chasse, ce que l'Otan considère comme un test de sa détermination. Sans compter les ingérences dans les élections législatives organisées en Moldavie, dimanche 28 septembre.

Il y a une semaine, trois avions de combat russes sont entrés dans l'espace aérien estonien et y sont restés pendant 12 minutes. Quelques jours plus tôt, une vingtaine de drones russes ont pénétré l'espace aérien polonais. La Roumanie a aussi dénoncé le vol d'un drone russe au-dessus de son territoire. "La Russie choisit l'escalade et la provocation", a commenté l'ambassadeur français adjoint à l'ONU, Jay Dharmadhikari, après cette série d'incidents. Des drones ont également survolé des aéroports et des sites militaires au Danemark, amenant Copenhague à se considérer comme victime d'une "attaque hybride" d'origine inconnue.

Des incidents concentrés "dans l'espace et le temps"

Pour le géopolitologue Jean-Sylvestre Mongrenier, dans ce contexte, il faut prendre les propos de Volodymyr Zelensky "au sérieux". "Des engins russes, drones et missiles, sont précédemment tombés sur les territoires des Etats baltes, de la Pologne, de la Roumanie, de la Moldavie", rappelle ce spécialiste des questions de défense européenne, chercheur associé à l'institut Thomas More. "Nous préférions croire qu'il s'agissait d'accidents, d'erreurs de routage, de faits non significatifs. Désormais, ces 'incidents' se multiplient et se concentrent dans l'espace et le temps."

"Les pays les plus immédiatement menacés sont ceux qui autrefois avaient été conquis par les armées soviétiques et rattachés à l’URSS, comme les Etats baltes et la Moldavie, ainsi que les anciens satellites (...), à l’instar de la Pologne et de la Roumanie."

Jean-Sylvestre Mongrenier, géopolitoloque

à franceinfo

La Moldavie s'inquiète effectivement pour son avenir. "Il y a beaucoup de désinformation et une rhétorique qui affirme que si la Moldavie continue son processus avec l'Union européenne, il risque de lui arriver la même chose que ce qui arrive à l'Ukraine aujourd'hui", a alerté dimanche sa présidente pro-européenne, Maia Sandu, dans un entretien à France Télévisions.

Face à ces alertes, d'autres chercheurs se veulent plus rassurants. "On ne sait pas trop s'il y a une surréaction des Européens, (...) car des vols d'avions qui s'approchent un peu trop près des frontières, ce n'est pas une première", analyse David Teurtrie, spécialiste de la Russie à l'Institut catholique d'études supérieures. Pour lui, une attaque russe sur un pays européen n'est pour l'instant pas une hypothèse sérieuse : "La Russie utilise déjà des moyens absolument énormes sur le front ukrainien, donc je ne vois pas Moscou ouvrir un second front, d'autant que ça signifierait une mise en branle de l'ensemble de l'Otan, alors même que cela fait trois ans que la Russie n'arrive pas à l'emporter sur le front ukrainien. Il n'y aurait pas de logique."

Un moyen pour Zelensky de s'assurer du soutien de ses alliés

"Une menace contre l'Otan serait une folie", acquiesce Philippe Migault, directeur du Centre européen d'analyses stratégiques. "Si la Russie, depuis trois ans en Ukraine, a l'avantage, c'est parce qu'elle domine l'air. Mais dans une guerre contre l'Otan, c'est nous qui dominerions le ciel, nous sommes supérieurs en termes d'avions de combat." Pour cet expert, la Russie n'a aucun intérêt à fâcher les Occidentaux. Moscou s'est d'ailleurs empressé de nier sa responsabilité derrière les intrusions dans l'espace aérien européen. Et le Kremlin répète qu'il n'a pas l'intention d'attaquer un pays membre de l'Alliance.

Comment expliquer, dès lors, l'alerte donnée par Volodymyr Zelensky ? "Depuis février 2022, le président ukrainien tente de convaincre les Européens et les Américains qu'après l'Ukraine, ce sera leur tour. C'est une manière de s'assurer de leur appui et de bâtir la coalition la plus offensive possible contre la Russie, car il sait très bien que sans le soutien des Européens et des Américains, il perdra la guerre", explique Philippe Migault. Et la situation sur le front ukrainien n'est pas bonne, rappelle David Teurtrie. "Les Russes avancent lentement et l'armée ukrainienne recule. Et s'ajoute l'intensification assez impressionnante des frappes russes en profondeur", analyse le chercheur. La Russie a ainsi lancé dans la nuit de samedi à dimanche une nouvelle attaque massive, avec des centaines de drones et missiles qui ont fait au moins quatre morts à Kiev. 

"Dans ce contexte militaire défavorable, Zelensky a donc intérêt à attirer au maximum l'attention sur la menace russe."

David Teurtrie, chercheur spécialiste de la Russie

à franceinfo

Le président ukrainien n'a pas inventé pour autant les incursions dans l'espace aérien européen. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, Vladimir Poutine, qui se trouve dans "une impasse stratégique" après trois ans et demi de guerre, "teste nos réactions et nos systèmes de défense, et cherche à nous intimider". Le chercheur David Teurtrie estime pour sa part que ces survols de drones pourraient avoir un autre intérêt stratégique : "Cela pourrait obliger les Européens à renforcer leurs moyens militaires et donc à envoyer sans doute moins d'aide à l'Ukraine." Plusieurs pays européens ont d'ailleurs déclaré ces derniers jours faire de la mise en place prochaine d'un "mur antidrones" sur le flanc oriental de l'Union une "priorité".

"Si des moyens sont déployés pour protéger en premier lieu les membres de l'Otan, ce sont des moyens en moins pour l'Ukraine."

David Teurtrie

à franceinfo

Le spécialiste de la Russie avance une autre hypothèse, "moins convaincante" selon lui : les incursions de drones viseraient à "tester les Etats-Unis", pour voir "s'ils réagissent et viennent en aide à leurs alliés européens". Pour l'instant, Donald Trump a jugé que les pays de l'Otan devraient abattre les appareils russes violant leur espace aérien, sans pour autant annoncer un soutien matériel à ses alliés.

Philippe Migault rappelle de son côté que pour l'instant, aucun drone n'a lâché de bombe ou de grenade sur le sol européen. "On ne sait même pas s'ils ont pris des photos, donc cela pourrait très bien être fait par différents types d'individus, des fans d'aviation, des agents provocateurs russes ou alors des gens qui ont tout intérêt à dramatiser la menace russe", observe-t-il.

"C'est du bricolage"

La Pologne a bien confirmé que les drones abattus dans son ciel portaient une signature russe, mais Philippe Migault n'exclut pas une erreur de destinataire. "Ces drones sont des leurres, ils sont destinés à attirer l'attention pour disperser les munitions de l'adversaire, explique-t-il. Dans ce cadre, le fait qu'ils se soient baladés en Pologne, je ne suis pas sûr que ça indique une volonté claire de la Russie de provoquer l'Otan. (...) Ces drones coûtent environ 10 000 dollars pièce, c'est du bricolage. Et on voudrait qu'ils se baladent avec la même exactitude en termes de guidage qu'un Rafale."

Enfin, le chercheur estime que "les Russes n'ont aucun intérêt à alarmer les Européens et les Américains : tout ce qui participe à une union sacrée autour des Ukrainiens est contre-productif pour les Russes."

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