Retraites : "François Bayrou a raison de s'accrocher", estime Laurent Pietraszewski, un ancien secrétaire d'État chargé des retraites

Alors que le Premier ministre consulte les partenaires sociaux qui ont participé aux négociations, mardi, après l'échec du conclave, Laurent Pietraszewski, qui était en charge des retraites entre 2019 et 2022, estime qu'"une partie de l'espérance de vie de son gouvernement dépend de la réussite de ce conclave".

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Laurent Pietraszewski, ancien secrétaire d'État chargé des retraites, président du conseil d'administration du groupe Casino, lors de l'assemblée générale du groupe, le 4 avril 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)
Laurent Pietraszewski, ancien secrétaire d'État chargé des retraites, président du conseil d'administration du groupe Casino, lors de l'assemblée générale du groupe, le 4 avril 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)

Le Premier ministre a reçu mardi 24 juin les partenaires sociaux qui ont participé aux négociations sur les retraites pendant quatre mois et qui se sont quittés la veille au soir sur un constat d'échec. Les socialistes ont déjà prévenu qu'ils allaient déposer une motion de censure après cet échec du conclave. Mais tout à l'heure, à l'Assemblée nationale, François Bayrou a redit qu'il tentait toujours d'aboutir à un texte qui pourrait être examiné par la représentation nationale.

Laurent Pietraszewski connaît bien le dossier des retraites. Il a été secrétaire d'État chargé des retraites entre 2019 et 2022 au sein des gouvernements d'Édouard Philippe puis de Jean Castex.

Franceinfo : François Bayrou a-t-il raison de s'accrocher ?

Laurent Pietraszewski : Il a raison de s'accrocher, de tenter. Je crois d'ailleurs que l'espérance de vie de son gouvernement dépend en partie de la réussite de ce conclave ou de la voie qu'il pourra trouver, qu'il explore pour réunir les partenaires sociaux autour d'une forme de consensus. Mais ce sera évidemment un consensus a minima.

Les syndicats ont déjà dit que les négociations étaient terminées. C'est ce qu'a déclaré la numéro un de la CFDT, Marylise Léon, en sortant de Matignon.

Oui, c'est vrai qu'il semble qu'on soit dans un dialogue de sourds aujourd'hui sur le sujet de la pénibilité. La CFDT a accepté un certain nombre d'évolutions dans les réformes à la fois de 2010 et de 2014, l'une portant sur l'âge d'ouverture des droits et l'autre sur la durée de cotisation, en échange de départs anticipés, notamment sur des facteurs de pénibilité. Donc les réformes qui ont été menées au niveau du Code du travail en 2017 et la sortie des risques ergonomiques de ces départs anticipés leur pose problème, puisque c'est ce qu'ils avaient obtenu en échange de l'augmentation de la durée de cotisation, notamment avec le passage à 43 annuités. Pour eux, c'est donc un élément essentiel de la négociation. Ils pourraient presque accepter un âge d'ouverture des droits à 64 ans s'ils obtenaient quelque chose sur la pénibilité.

Sauf qu'aujourd'hui, le patronat ne veut pas. Il veut bien que ces critères de pénibilité, à savoir le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations, soient réintroduits. Mais pas pour qu'il y ait des départs anticipés, seulement pour pouvoir faire valoir des reconversions avec l'aval de la médecine du travail. Ce n'est pas suffisant, selon la CFDT. Et d'après ce que je comprends de ce que vous dites, la CFDT a raison.

Je ne sais pas si la CFDT a raison mais elle appuie sur la nécessité pour elle d'obtenir une compensation des efforts qu'elle fait en acceptant l'évolution de l'âge d'ouverture des droits.

"La CFDT demande à ce qu'on lui rende une partie de ce qu'elle avait obtenu en 2014. Alors, il faut le faire."

Laurent Pietraszewski

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Il faut le faire de façon extrêmement pragmatique. La réalité, c'est que la réforme de 2014, avec le C3P [compte personnel de prévention de la pénibilité], le fameux compte de pénibilité, était un véritable capharnaüm. Il était impossible en réalité de mesurer le nombre de colis lourds qui étaient portés par les uns ou par les autres, donc il va falloir changer tout cela. Je crois que la proposition qui consiste a donné aux branches la possibilité de réfléchir à des métiers identifiés sur ce type de pénibilité est une bonne idée.

Comment comprenez-vous le fait que le patronat y soit vraiment opposé parce que l'objectif de cette réforme de 2023, c'est d'augmenter le nombre de seniors qui sont au travail ?

L'enjeu est d'avoir une phase de réparation pour les années qui viennent pour ceux et celles qui auraient passé parfois plus de 20 ans dans des métiers où l'usure ergonomique est une réalité. Il faut créer les conditions pour que les nouveaux et les nouvelles puissent avoir des voies de requalification professionnelle. C'est d'ailleurs l'objet du FIPU, ce fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle, qui malheureusement ne fonctionne pas comme il devrait. Il ne donne pas sa pleine mesure, les branches ne se le sont pas encore approprié. On pourrait tout à fait trouver une voie de passage entre les syndicats réformistes et le patronat sur le sujet des branches.

Autre question qui bloque en ce moment, c'est l'âge de départ à la retraite avec une pension complète quand on n'a pas tous ses trimestres. Aujourd'hui, c'est 67 ans. Six mois, un an de moins, comme le demande la CFTC ? Où faut-il placer le curseur ?

Il faut sans doute le placer autour de ce qu'on appelle l'âge d'équilibre. Ce que prévoyait le système universel des retraites, c'était un alignement de l'âge d'équilibre sur ce qu'on appelle l'âge d'annulation de la décote. C'est ça que demande la CFTC.

Qui travaille réellement jusqu'à 67 ans ? Essentiellement celles - et je fais exprès de dire celles - qui ont eu des carrières hachées. C'est vis-à-vis de ces femmes qu'il faut avoir un certain nombre d'actions. Pour le coup, là, le conclave avait plutôt avancé sur le sujet. Mais la CFTC, au final, dit, "nous on est attentif à cette borne d'âge", qui sans doute devrait être revue. Vous savez le débat il est entre 66,5 ans côté Medef et 66 ans pour la CFTC.

Il n'y a pas que ça. Ils veulent l'indexer sur l'espérance de vie, ce qui change tout.

Les syndicats ont donc raison de dire que la balle est aujourd'hui dans le camp du patronat qui doit faire un certain nombre de concessions pour aboutir à un texte consensuel qui soit accepté par tous.

La difficulté de ces concessions, quelles qu'elles soient, dans un sens ou dans un autre, autour d'une réforme paramétrique, c'est qu'elle crée des effets de bord. Quand on fait cette réforme à 64 ans, on s'aperçoit qu'avec la prise en compte des carrières longues, pour ceux qui ont commencé avant 21 ans, plus d'un quart de nos concitoyens partent plus tôt en retraite. A force de créer des exceptions qui deviennent des généralités, la règle finit par ne plus avoir aucun sens, d'où la nécessité de se reposer ensemble sur ce sujet.

"Il faut absolument que ce conclave arrive à produire quelque chose politiquement et aussi pour notre société."

Laurent Pietraszewski

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Et au final, il montre que les réformes sur les retraites ne peuvent être que des réformes systémiques. En réalité, les réformes paramétriques elles ont montré qu'elles sont arrivées au bout du bout, elles ne sont plus acceptées socialement et elles n'ont plus de pertinence ou d'efficacité budgétaire. C'est malheureusement ce que nous étions plusieurs à dire entre 2017 et 2020. Malheureusement, nous n'avons pas pu aller au bout du projet du système universel des retraites. Mais je crois que la difficulté du conclave ne fait que montrer que les réformes paramétriques sont arrivées au bout de ce qu'elles pouvaient produire.

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