Reportage
"L'avenir de la Russie est inconcevable sans préserver le passé" : le Musée de la Victoire à Moscou, vitrine de la stratégie idéologique de Vladimir Poutine

La victoire des alliés sur l'Allemagne nazie se commémore le 9 mai en Russie. Au fil des années, c'est devenu un événement patriotique que le pouvoir utilise largement. Mais au quotidien, le discours d'une menace diffuse se fait omniprésent auprès des anciens comme des jeunes, notamment au musée de la Victoire à Moscou.

Article rédigé par franceinfo
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Exposition, au musée de la Victoire, consacrée aux soldats russes impliqués dans le conflit ukrainien et aux vétérans de la Seconde Guerre mondiale, à Moscou le 4 mai 2025. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)
Exposition, au musée de la Victoire, consacrée aux soldats russes impliqués dans le conflit ukrainien et aux vétérans de la Seconde Guerre mondiale, à Moscou le 4 mai 2025. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)

La victoire de 1945, c'est la matrice du discours nationaliste en Russie. En ce 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Vladimir Poutine a d'ailleurs invité une vingtaine de chefs d'État, dont Xi Jinping et Lula, alors que la guerre en Ukraine continue.

Mais pour bien le comprendre comment le pouvoir utilise la mémoire de la Deuxième Guerre, il faut aller au Musée de la Victoire à Moscou, un bâtiment immense de style massif, entièrement consacré à "la grande guerre patriotique" - comme on l'appelle ici - et aux 27 millions de morts soviétiques.

Des citoyens, des étudiants et beaucoup de visites scolaires

Inna se trouve dans la salle des "Visages de la Victoire". Elle tape un nom sur un clavier, devant un immense écran. "Je cherche un membre de ma famille, dit-elle. Mon oncle a combattu et a été porté disparu. Ma grand-mère l'a attendu pendant 22 ans. Et quand elle est morte en 1965, les chercheurs ont retrouvé sa dépouille."

À 80 ans, Inna est "née avec la Victoire", comme elle dit. Mais ce qui frappe ici, c'est le nombre d'enfants, de scolaires, il y en a partout. La guide, Lidia Stepanova, explique que ce musée est aussi fait pour eux. "Vous savez que notre musée fait beaucoup de travail patriotique, et vous avez vu qu'il y a beaucoup d'enfants. Là, nous avons spécialement placé une des pages du livret plus bas pour qu'un enfant de 5 à 7 ans puisse le regarder."

Un peu plus loin nous croisons Olga, venue de Saint-Petersbourg avec son fils. "Les enfants doivent connaître leur histoire. Il faut leur inculquer l'amour de leur patrie. Cela ne se fait pas tout seul, il faut l'apprendre. C'est pour cela qu'il y a des endroits comme celui-ci", avance-t-elle. Stepan, 8 ans, a retenu une chose de sa visite : une leçon d'histoire, mais surtout une leçon militaire.

"Il faut toujours faire quelque chose d'inattendu à la guerre pour gagner, pour que l'ennemi soit surpris et s'enfuie effrayé."

Stepan, 8 ans

à franceinfo

Plus loin une classe de cadets - des lycéens qui ont une formation militaire - débute sa visite par la salle de la Vérité historique. L'un d'eux, Artyom, connaît bien les lieux : "Nous sommes souvent venus. Personnellement, c'est la cinquième fois. Il y a toujours quelque chose de nouveau, du matériel, des petits objets. Il y a des fouilles, on trouve des cadavres. La collection s'enrichit." Artyom et ses amis sont incollables sur les batailles.

La guerre en Ukraine et "la menace qui peut venir de n'importe où" 

Bien évidemment, les parallèles avec la guerre en Ukraine sont nombreux. Et la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale est utilisée pour entretenir l'idée d'une menace permanente. C'est ce qu'explique un historien, Igor, l'un des rares ici à oser en parler ouvertement : "On insiste beaucoup sur le fait qu'il existe certaines forces extérieures qui nous menacent et qui peuvent à tout moment nous priver de notre indépendance. Et donc : 'Unissons-nous pour résister à ces forces qui peuvent porter atteinte à notre souveraineté. Souvenons-nous de 1945 !'" explique-t-il.

Et il raconte comment l'ennemi est devenu désormais diffus. La commémoration de la Victoire est omniprésente, dit-il, "tout en semant constamment le doute quant à nos alliés. Autrement dit, notre souveraineté n'est pas seulement menacée par un leader totalitaire allemand, mais désormais, la menace peut venir de n'importe où." 

Et pour comprendre comment ces idées sont diffusées, nous sommes allés assister à une séance de formation pour les "Volontaires du 9-Mai". Ce sont des bénévoles qui vont faire partie de l'organisation des commémorations de ce vendredi 9 mai. Ce soir-là, il y avait une vingtaine de personnes, très motivées comme Larissa, la quarantaine. Larissa veut aider les vétérans encore vivants, des personnes très âgées, à participer à cette commémoration : "Bien sûr, je ne pouvais pas manquer un tel événement, dit-elle. C'est une fierté et un privilège de participer à cela, en tant que citoyenne de mon pays."

Mais pour cela, elle va aussi recevoir une formation historique et idéologique. À commencer par celle de ces bénévoles, durant laquelle une vidéo est diffusée.

"Malheureusement, certains pays tentent de réécrire l'histoire de la guerre. Notre tâche est de préserver la vérité historique et de protéger la mémoire de nos grands-pères et arrière-grands-pères"

Vidéo projetée à des bénévoles pour l'organisation de la commémoration de la Victoire

francienfo

Puis suit un cours d'histoire, où est racontée la Deuxième Guerre mondiale, mais avec quelques particularités... Par exemple, on parle des causes de la guerre, sans jamais évoquer le pacte germano-soviétique. Ou encore, on parle des camps de concentration, sans jamais prononcer le mot "juif", pour mieux insister sur le génocide soviétique. Anastasia, la formatrice, a 19 ans et elle se défend : "Nous ne donnons que les faits exacts, dit-elle. Nous les diffusons au public en Russie et à l'étranger. C'est important pour moi parce que je suis une patriote, et l'avenir de la Russie est inconcevable sans préserver le passé."

Le passé et le présent qui se télescopent dans les rues de Moscou où l'on croise en ce moment des affiches commémorant la victoire de 1945, et juste à côté, une autre invitant les volontaires à s'engager pour la guerre en Ukraine.

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