: Reportage "C'est mieux que la clim" : à Lyon, un réseau de froid urbain rafraîchit des magasins sans rejeter d'air chaud
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Notre série "En toute sobriété" met en avant des solutions locales pour réduire nos consommations et agir face à l'urgence climatique. Dans cet épisode, un peu de fraîcheur sans dépenser trop d'énergie grâce aux nappes souterraines.
Dans le grand hall du centre commercial de la Part-Dieu, à Lyon, Fatima s'offre une pause bien méritée. Cette habitante du Beaujolais est venue pour les soldes avec son fils, alors que la chaleur étouffante du mois de juillet écrase la ville. Assise sur un canapé, elle profite de la température agréable de ce gigantesque bâtiment de verre et de béton. "On est bien ici", souffle la quinquagénaire. Mais ce qu'elle ne sait pas, c'est que cette fraîcheur ne provient pas d'une climatisation classique qui recrache de l'air chaud à l'extérieur et amplifie les îlots de chaleur. Non, tout est caché sous ses pieds, grâce à un réseau de froid urbain connecté à une nappe phréatique profonde. "C'est encore mieux que la clim !", se réjouit-elle.
A l'instar des réseaux de chaleur, qui se développent dans de nombreuses villes françaises pour chauffer les bâtiments de tout un quartier, des réseaux de fraîcheur commencent à creuser leur sillon dans les sous-sols des métropoles pour affronter la hausse des températures dans l'Hexagone. A la Part-Dieu, une nouvelle centrale de froid a ainsi été inaugurée en 2019, afin d'étendre ce réseau et de le rendre encore plus sobre en énergie.
Une piscine dans un parking
La quête de fraîcheur commence dans un parking souterrain, planqué sous la célèbre gare lyonnaise. Le long d'un tunnel sombre, arpenté par les automobilistes, Gérald Campbell-Robertson pousse une porte avec un surprenant écriteau : "Risque de noyade." Le directeur général d'ELM, une filiale du groupe Dalkia qui exploite le réseau de froid lyonnais, allume la lumière et pointe du doigt un bassin en béton. "On a construit une piscine ici. L'eau est très propre et à 15°C toute l'année", explique l'ingénieur, casque de chantier sur la tête.
Cette eau provient de la nappe phréatique profonde, sous la ville de Lyon. Une menace pour le parking, qui a dû installer des pompes pour éviter tout risque d'infiltration. Mais c'est également une opportunité en or pour refroidir la ville. L'équivalent d'"un peu moins d'une piscine olympique est pompé toutes les heures, explique Gérald Campbell-Robertson. Mais toute l'eau était jusque-là perdue." Depuis un peu plus de cinq ans, cette source d'énergie inutilisée est désormais valorisée.
Pour savoir comment, il faut suivre les 800 m de canalisation qui filent à travers le parking et le quartier d'affaires lyonnais. A l'arrivée, un jardin en cours d'aménagement ne laisse rien entrevoir – ni entendre – des engins qui turbinent 13 m sous terre. Mais une fois la trappe métallique soulevée, un bruit assourdissant résonne dans la centrale Mouton-Duvernet.
C'est ici que l'eau souterraine arrive afin de refroidir les machines qui tournent à plein régime. Ces moteurs produisent l'eau glacée qui circule dans le réseau de froid urbain.
"Pour produire du froid, on génère du chaud. Vous le voyez avec la grille qui chauffe derrière votre frigo."
Gérald Campbell-Robertson, directeur général d'ELMà franceinfo
Une fois que l'eau souterraine a rafraîchi la centrale, elle est renvoyée, autour de 20°C, dans une autre nappe phréatique de la ville, située plus en surface. "Le système est vertueux, car elle refroidit cette [deuxième] nappe phréatique qui atteint jusqu'à 27°C l'été", confirme Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la métropole de Lyon, en charge du climat et de l'énergie.
Des parchemins en peau de vache
L'eau fraîche du réseau de froid urbain circule, elle, en cycle fermé. Elle part à 5°C de la centrale dans de longs tuyaux souterrains, se diffuse jusqu'aux pieds des bâtiments connectés pour leur fournir de la fraîcheur et revient autour de 12°C. Sur son chemin d'environ 14 km, elle rafraîchit notamment le datacenter d'Orange, les blocs opératoires d'un hôpital et les archives départementales du Rhône, tous situés dans un périmètre de 3 km autour de la centrale.
Dans la salle de lecture silencieuse des archives, la température est scrutée de près par la documentaliste. "Le plus important, ce n'est pas pour nous, mais pour les livres, glisse l'employée. On a six étages de stocks au-dessus de nos têtes avec des parchemins en peau de vache. Il ne faut surtout pas de choc thermique. Sinon, il y a de la moisissure et c'est la catastrophe !"
Penché au-dessus d'un paquet de documents notariés du XIXe siècle, Jean-Claude est, lui aussi, ravi de la température qui règne dans la pièce, malgré le soleil et les grandes baies vitrées. "C'est parfait ! On en a assez de la chaleur avec le béton et le goudron", souffle le retraité. Même satisfecit quelques bureaux plus loin pour Séverine, une habituée des lieux : "La température est toujours confortable. Ce n'est pas non plus un frigo et tant mieux", se réjouit la trentenaire.
Pour maintenir cette fraîcheur de jour comme de nuit, malgré les pics de consommation, la centrale toute proche possède une autre arme secrète : la glace. Lorsque les besoins en froid diminuent, les machines ne produisent plus de l'eau à 5°C, mais à -5°C. Cette glace est ensuite stockée dans quatre bacs géants installés sous terre, telles des grandes machines à granités. "On stocke la glace la nuit et on la fait fondre le jour, selon les besoins", explique Gérald Campbell-Robertson.
"C'est le quartier du futur"
Avec cette technologie de pointe, le réseau de froid urbain permet ainsi de rafraîchir des milliers de bureaux et de magasins du quartier de la Part-Dieu, en consommant deux fois moins d'énergie que les systèmes de climatisation classiques, selon la métropole. Les investissements, chiffrés à plus de 22 millions d'euros pour la centrale Mouton-Duvernet, sont intégralement pris en charge par Dalkia, la filiale d'EDF qui exploite et commercialise ce business du froid à Lyon pour une durée de trente ans.
Mais malgré son extension au fil des années, le réseau ne couvre toujours pas une très grande partie de la ville, ni les logements des particuliers. "Ce serait très compliqué en termes de puissance", reconnaît Philippe Guelpa-Bonaro. L'élu en charge du dossier plaide d'ailleurs pour miser en priorité sur la rénovation thermique des bâtiments, afin "qu'on ait le moins besoin de rafraîchissement actif".
Reste qu'avec le réchauffement climatique, qui pourrait faire grimper les températures de 2,7°C dans l'Hexagone d'ici à 2050 , il faut agir tous azimuts. "Le besoin en froid va continuer d'augmenter", admet le vice-président de la métropole, face aux ouvriers qui s'activent dans l'ancienne friche d'Oullins, au sud de Lyon. Un nouveau réseau de froid et de chaud produit grâce aux eaux usées va bientôt sortir de terre ici. Et même les logements privés pourront en profiter. "C'est unique en Europe, se félicite déjà Philippe Guelpa-Bonaro. C'est le quartier du futur. Il sera là au XXIIe siècle !"
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre) . Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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