Y a-t-il vraiment une augmentation du nombre de couteaux dans les collèges et les lycées ?
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Après l'agression mortelle d'une surveillante par un collégien à Nogent, le gouvernement veut durcir la législation sur les armes blanches. Franceinfo a interrogé des chefs d'établissements alors qu'en deux mois, au moins 186 couteaux ont été saisis lors de 6 000 contrôles.
Après l'agression mortelle d'une surveillante poignardée par un élève de 14 ans devant un collège de Nogent, en Haute-Marne, mardi 10 juin, les réponses politiques se multiplient. Le gouvernement a annoncé son intention d'interdire la vente aux mineurs de "tout couteau qui peut constituer une arme", une décision qui sera effective dans les quinze jours, affirmaient mercredi les services du Premier ministre. François Bayrou veut aussi que le gouvernement travaille à "l'expérimentation" de portiques de détection d'armes, malgré des limites pointées jusque dans son camp : "On a des couteaux en céramique qui ne seront pas détectés", a souligné la ministre de l'Éducation nationale, Élisabeth Borne.
Le phénomène lui-même reste difficile à quantifier : combien d'élèves portent un couteau sur eux pour se rendre dans leur établissement ? Dans quel but ? A quelle fréquence ? Les seuls chiffres existants proviennent des contrôles effectués devant un certain nombre de collèges et lycées depuis le 26 mars. Deux jours plus tôt, un adolescent de 17 ans avait été mortellement poignardé près d'un lycée dans l'Essonne, lors d'une rixe dans un contexte de rivalité entre quartiers.
Une circulaire avait été adressée dans la foulée aux préfets, aux forces de l'ordre, aux chefs d'établissements et aux recteurs d'académie, leur demandant de réaliser des vérifications des sacs, inopinées et aléatoires, à l'image de celle qui était en cours à Nogent quand le collégien s'en est pris à la surveillante. Le bilan le plus récent a été communiqué mardi par le ministère de l'Intérieur : en deux mois et plus de 6 000 opérations de contrôle partout en France, au moins 186 couteaux ont été saisis et 32 personnes ont été placées en garde à vue. Ces données doivent encore être consolidées dans l'attente des remontées de certaines préfectures, précise le ministère.
"Ce n'est pas nouveau"
Spécialiste des violences en milieu scolaire, Eric Debarbieux invite à "être prudent" sur ces chiffres, soulignant que "l'on n'a pas de données comparatives" permettant de juger si le port de ces armes a augmenté ou non. "Ce n'est pas nouveau qu'il y ait une présence d'armes blanche dans les établissements", relate ce professeur émérite en sciences de l'éducation à l'université de Créteil. "Il y a des proviseurs dans les années 90 qui, déjà, ouvraient leurs tiroirs et qui me montraient les armes blanches qu'ils avaient récupérées."
Toutes ne sont pas portées en vue de commettre des violences. Proviseur du lycée professionnel Henri-Brulle à Libourne (Gironde), Nicolas Bonnet, également membre de l'exécutif national du SNPDEN Unsa, le syndicat des chefs d'établissements, raconte qu'une fouille surprise y a été organisée début mai. Sur environ 350 élèves contrôlés, deux couteaux ont été saisis. "Les élèves concernés les avaient utilisés juste avant pour déjeuner : ils ont été surpris qu'ils soient saisis, mais n'ont posé aucun souci", explique-t-il, précisant les avoir rendus en fin de journée.
Début février, Elisabeth Borne avait annoncé son intention de modifier par décret le Code de l'éducation afin que tout port d'arme blanche en milieu scolaire donne lieu à un passage systématique en conseil de discipline et à un signalement au procureur via l'article 40. Le ministère de l'Education nationale précise à franceinfo que le décret "a été examiné en Conseil d'Etat et qu'une publication est prévue dans les prochains jours".
Nicolas Bonnet ne voit pas l'utilité de lancer de telles procédures de manière systématique, notamment quand il n'y a "aucune mauvaise intention" de la part de l'élève. Récemment, il a ainsi saisi un canif apporté par un collégien "issu du monde rural, qui l'a toujours sur lui par habitude familiale". L'adolescent a tout de même écopé d'une sanction, "pour marquer le coup".
Une volonté croissante de "se défendre eux-mêmes"
Dans un collège en zone d'éducation prioritaire renforcé d'Auvergne-Rhône-Alpes, un principal (qui ne souhaite pas être nommé) a récupéré, depuis le début de l'année, un Opinel et "deux tasers qui ne marchaient pas". L'élève avait sorti le couteau de lui-même pour le montrer à ses camarades. Le collégien est passé en conseil de discipline et a été exclu définitivement, "pas seulement à cause du couteau, mais parce qu'il présentait d'autres problèmes de discipline par ailleurs", précise le proviseur.
Le chef d'établissement n'a pas ressenti le besoin de faire venir des forces de police pour procéder à des contrôles inopinés, mais a lui-même effectué des contrôles visuels des sacs à l'entrée du collège, avec l'aide de la CPE et de la principale adjointe. "Ça crée un effet un peu psychologique, mais je ne sais pas si ça sert vraiment à quelque chose", confie-t-il, précisant avoir confisqué "une mini matraque télescopique".
S'il n'observe pas de problématique réelle sur la question des armes, et particulièrement des couteaux, il constate tout de même "une certaine volonté des élèves de vouloir se défendre eux-mêmes". Il raconte avoir eu affaire à une bagarre entre plusieurs élèves avec, par la suite, "des menaces de représailles à l'extérieur du collège". "On les sentait habités par une envie de vengeance : il a fallu deux mois pour calmer les choses", raconte-t-il. Là où auparavant la violence s'arrêtait une fois les élèves sortis de l'établissement, le proviseur observe qu'elle se poursuit aujourd'hui à l'extérieur, "dans un flux continu, alimenté par les réseaux sociaux".
"Dépasser un interdit"
Christophe Boulat, principal au collège Châteaudun de Belfort, voit plutôt une volonté "de faire peur" chez les quelques élèves venus armés de couteaux. Dans son établissement et dans les douze autres collèges du Territoire de Belfort, "aucun n'a tenté de l'utiliser", rapporte celui qui est secrétaire départemental du SNPDEN Unsa. "Mais dans certains cas, il y avait clairement une intention de dissuader, certains élèves montrant par exemple qu'ils savaient l'ouvrir ou le fermer".
Les saisies restent "très marginales" dans son département. "On va trouver globalement du couteau suisse ou de l'Opinel, mais, dans ma carrière, je n'ai vu qu'un seul couteau papillon", détaille-t-il. Une seule fois, il a vu "un couteau de cuisine, il y a dix ans : l'élève l'avait apporté pour se défendre d'un autre élève d'un autre établissement".
"Cela fait douze ans que je suis personnel de direction et, il y a douze ans, on avait déjà des problématiques de couteaux, qui sont toujours restées extrêmement isolées".
Christophe Boulat, principal d'un collège de Belfortà franceinfo
Pour autant, il reconnaît que le port du couteau est devenu "tendance" et "touche tous les établissements". Il y voit une volonté "de dépasser un interdit, sans forcément qu'il y ait une mauvaise intention", comme lorsqu'un élève arrive avec "du protoxyde d'azote, un poing américain ou des cigarettes électroniques." Il y a, poursuit le principal, "l'envie de faire valoir un certain pouvoir, sur fond de vantardise, avec des profils d'élèves qui aiment avant tout se montrer".
"On sait, en tant que personnel de direction, qu'il faut être vigilant", reconnaît Christophe Boulat. Pour autant, il s'oppose radicalement à la généralisation des portiques, qui, selon lui, apporteront des problèmes supplémentaires sur la gestion des flux d'élèves à l'entrée. En revanche, il estime que les caméras peuvent avoir un effet dissuasif : il l'a noté lui-même dans son établissement. Mais le chef d'établissement préconise avant tout plus de prévention, grâce aux personnels médicosociaux des collèges et lycées.
Un constat que rejoint Nicolas Bonnet, le proviseur de Gironde. Pour lui, le plus important est de renforcer les équipes d'assistants d'éducation (AED), "pour qu'ils connaissent bien les élèves et aident les psychologues et infirmiers scolaires à détecter les éventuels problèmes de santé mentale". Il en observe "de plus en plus, alors qu'on a de moins en moins d'AED et de personnels médicaux-sociaux : c'est pour cette raison qu'on a une multiplication des débordements d'élèves, en souffrance personnelle."
Mardi, François Bayrou a aussi appelé à "travailler la question de la santé mentale". L'élève qui a reconnu les faits à Nogent, qui s'était muni d'un couteau avec l'intention de s'en prendre à une surveillante, ne présente "aucun signe de trouble mental", a fait savoir le procureur mercredi, mais exprime "une fascination pour la mort" et "une perte de repères quant à la valeur de la vie humaine".
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