Récit "Enfin les ennuis commencent" : les huit mois de François Bayrou comme Premier ministre, entre couacs et coups politiques

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Le Premier François Bayrou soumet son gouvernement à un vote de confiance de l'Assemblée nationale le 8 septembre 2025. (AFP / HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Le Premier François Bayrou soumet son gouvernement à un vote de confiance de l'Assemblée nationale le 8 septembre 2025. (AFP / HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Le chef du gouvernement se soumet lundi à un vote de confiance des députés, dont l'issue risque de lui être fatale. Franceinfo revient sur ses 269 jours dans "l'enfer" de Matignon, à travers quatre moments clés, entre motions de censure et affaire Bétharram.

Même s'il se trouve quelque ressemblance avec Richard Gere, c'est plutôt Tom Cruise qu'il faut convoquer avant d'entamer le récit des 269 jours de François Bayrou comme Premier ministre. La mission impossible que le septuagénaire a acceptée est la suivante : trouver une stabilité politique, la plus durable possible, malgré l'équation complexe issue des élections législatives anticipées de l'été 2024, qui n'ont permis de dégager aucune majorité nette à l'Assemblée nationale pour gouverner. Une mission à laquelle le centriste aura définitivement échoué s'il est renversé à l'issue du vote de confiance des députés, qu'il a lui-même convoqué, lundi 8 septembre.

C'est l'issue la plus probable, sauf si les élus du Parti socialiste ou du Rassemblement national renoncent au dernier moment à sanctionner le chef du gouvernement. La partie était-elle perdue d'avance, ou le chef de file du MoDem l'a-t-il mal jouée semaine après semaine ? Quelle trace restera-t-il de l'action du Palois ? Franceinfo revient sur ses huit mois et 26 jours dans l'"enfer" de Matignon. 

Les débuts maladroits d'un Premier ministre qui s'est imposé

13 décembre 2024. Moins de deux semaines avant Noël, la vie offre un cadeau à François Bayrou : le pouvoir. Pas tout à fait celui qu'espérait le triple candidat à l'élection présidentielle. A défaut de l'Elysée, ce sera Matignon. Un cadeau qu'il est tout de même allé chercher en s'imposant à Emmanuel Macron. Pour remplacer Michel Barnier, censuré sur l'autel de la rigueur budgétaire, le président de la République songe au ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Le patron du MoDem menace de sortir du camp présidentiel et d'accentuer la crise politique. Il obtient gain de cause. A 73 ans, il devient le 28e Premier ministre de la Ve République. Le couronnement d'un long parcours mené au centre. 

"Enfin, les ennuis commencent." Telle est la formule, empruntée à François Mitterrand, qu'il prononce en entrant à Matignon, selon le récit fait à franceinfo par Marc Fesneau, l'un de ses proches. "Ça donne l'état d'esprit dans lequel Bayrou rentre à Matignon. On se réunit le soir. On ne fait pas la tête, mais ce n'est pas un moment festif non plus, se souvient le président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale.

"Immédiatement se pose la question de comment ça peut marcher, comment ça peut durer et comment ça peut fonctionner. Donc il n'y a pas l'euphorie."

Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale

à franceinfo

Trois jours seulement après sa prise de fonction, le nouveau Premier ministre commet une première erreur de communication. Il assiste par visioconférence à une cellule de crise interministérielle consacrée à l'ouragan qui a ravagé l'île de Mayotte pour se rendre au conseil municipal de Pau, ville dont il est toujours maire. Les Mahorais s'indignent, les oppositions de gauche moquent un Premier ministre "à mi-temps" et Yael Braun-Pivet, la présidente macroniste de l'Assemblée nationale, tance. "J'aurais effectivement préféré que le Premier ministre, au lieu de prendre un avion pour Pau, prenne un avion pour Mamoudzou", déclare-t-elle.  

Le socle commun s'interroge. D'autant que les débuts du nouveau Premier ministre sur les bancs de l'Assemble nationale, qu'il n'a plus fréquentés depuis longtemps, sont laborieux. Que ce soit au cours des questions au gouvernement ou lors de sa déclaration de politique générale, où il perd le fil de son discours et mélange ses feuilles.

"Dès le premier discours, ça a été une immense déception et une stupéfaction", se remémore le député Emmanuel Maurel, apparenté au groupe communiste, qui appréciait pourtant en François Bayrou "quelqu'un d'expérimenté, ayant une sensibilité littéraire". "Je m'attendais à un autre niveau pour quelqu'un qui brigue la fonction suprême depuis des années", lâche-t-il.

Marc Fesneau plaide la différence de code. "Ce que les gens n'avaient pas encore vu, c'est que François Bayrou c'est aussi un style qui n'est pas celui qu'impose la vie politique actuelle, faite désormais d'activisme, d'empressement, voire d'agitation, argumente-t-il. Il fait le choix stratégique de dire que le boulot du Premier ministre, ce n'est pas de faire de la communication l'alpha et l'oméga de son action."

Il échappe à la censure, mais "sait que c'est un sursis"

5 février. François Bayrou exprime son soulagement dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Il vient d'échapper à deux motions de censure déposées par La France insoumise, qui font suite aux deux articles 49.3 que le Premier ministre a utilisés sur la loi de finances 2025 et le budget de la Sécurité sociale pour faire adopter les textes sans vote des députés. Le centriste a bénéficié de la neutralité du RN, mais surtout de celle du PS, après d'âpres négociations menées jusqu'au dernier moment. Malgré des débuts contrariés, il a réussi sa première épreuve politique.

"Je suis rassurée en tant que parlementaire, témoigne la députée macroniste Prisca Thévenot. La France a un budget et le gouvernement n'est pas tombé. François Bayrou a réussi sa première mission. Il faut se rappeler d'où on vient. Dix jours avant Noël, on n'avait ni budget ni gouvernement." Dans l'entourage du locataire de Matignon, on garde la tête froide. "Il ne triomphe pas, parce qu'il sait que c'est un sursis", appuie Marc Fesneau.

L'un des termes de l'accord de non-censure avec le PS est d'accepter de discuter d'aménagement à la réforme des retraites d'Elisabeth Borne de 2023. C'est l'objet du conclave sur les retraites que François Bayrou met en place. Il est prévu que les partenaires sociaux se réunissent chaque jeudi, réfléchissent au financement du système des retraites et rendent leurs préconisations à la fin du mois de mai. Le Premier ministre s'engage en cas d'accord à les transcrire dans un projet de loi. "Sur le conclave, on est un certain nombre à se dire que c'est pas mal de faire confiance aux partenaires sociaux, mais on a très vite déchanté", regrette Emmanuel Maurel.

Dès lors, le maire de Pau est accusé de jouer la montre, ce que réfute son fidèle lieutenant, Marc Fesneau. "Il organise le conclave non pas pour gagner du temps, mais pour dire : 'J'essaye par cette méthode-là de débloquer un sujet symbolique pour montrer qu'après on peut faire de même pour le budget', explique-t-il. S'il réussissait le conclave, il donnait le message que l'accord auquel étaient parvenus les syndicats et les forces patronales, pouvait aussi fonctionner pour le budget entre les forces politiques à l'Assemblée."

Le choc de l'affaire Bétharram

14 mai. François Bayrou passe à l'offensive devant la commission d'enquête parlementaire sur les violences à l'école. Elle a été créée en réponse à l'émoi suscité par les révélations sur les violences physiques, psychologiques et sexuelles commises pendant des décennies à Notre-Dame de Bétharram, l'établissement privé catholique où le Premier ministre a scolarisé ses enfants et où sa femme a enseigné le catéchisme. Il a été député de la circonscription et ministre de l'Education nationale à l'époque de certains faits dénoncés.

Questionné, le Béarnais accuse le député LFI Paul Vannier, corapporteur de la commission, de politiser ce drame pour obtenir son départ de Matignon. Il a posé bien en évidence à côté de lui le livre La Meute, enquête journalistique qui pointe du doigt l'absence de démocratie interne au sein du mouvement de Jean-Luc Mélenchon.

C'est l'épilogue du bras de fer engagé par les deux hommes à l'Assemblée nationale. Le 11 février, dans la foulée des premières révélations, Paul Vannier interroge François Bayrou, lors des questions au gouvernement, sur sa connaissance des violences commises à Bétharram. "Je pense qu'il ne voit pas du tout venir une querelle, explique Marc Fesneau. Il est d'un tempérament très franc : 'Tu m'attaques, je réponds.' Du coup, cela enclenche la polémique."

Blessure personnelle et rupture politique

De dénégations en imprécisions, le maire de Pau est, pendant deux mois et demi, sous le feu d'enquêtes et d'articles avec les témoignages d'acteurs du dossier qui contredisent sa version des faits évolutive. "C'est un moment qui a occupé beaucoup la bande passante, y compris en entravant son action. Cela dure plusieurs mois. C'est très, très long", regrette Marc Fesneau.

Mais surtout, selon les proches de François Bayrou, cet épisode est une blessure personnelle et marque un tournant. Car sa fille témoigne de violences physiques et d'humiliation qu'elle a connues dans le cadre de camps de vacances sans jamais en avoir parlé à son père. "Lui n'a jamais craint d'être une cible politiquement, commente Marc Fesneau. Mais il croyait sa famille préservée, intouchable et, pour la première fois, elle était touchée. Touchée très violemment."

Ce scandale marque aussi un éloignement avec le Parti socialiste. François Bayrou "trouve que la façon dont ils se sont comportés sur Bétharram est dégueulasse", explicite le président du groupe MoDem, évoquant une question incisive d'une députée PS sur l'affaire. Le Béarnais leur fait payer en retour en tenant des propos très durs contre Olivier Faure lors d'un débat parlementaire, ce qui ulcère les députés PS. Le premier signe d'un rendez-vous manqué avec les socialistes ? "Je pense que c'est surtout l'occasion d'un rendez-vous manqué avec lui-même, ironise le député PS du Calvados, Arthur Delaporte. Il a été médiocre de bout en bout, solitaire dans l'exercice du pouvoir, pétri de certitudes. Il ne doit sa chute qu'à lui-même." 

"Aller au bout" sur la rigueur budgétaire

15 juillet. La mine grave, François Bayrou met en garde sur l'état des déficits publics lors d'une conférence de presse où il présente ses pistes pour le budget 2026. Pour "sortir du piège mortel du déficit et de la dette", il préconise près de 44 milliards d'économies, avec la suppression de deux jours fériés ou encore une année blanche en terme de dépenses publiques.

Il frappe fort et veut montrer que son bras ne tremble pas au moment des choix. "Il est quand même contrarié de l'échec du conclave sur les retraites. Il voyait bien que montait l'idée de : 'Il ne dit rien, il fait du bla-bla, il n'avance pas', décrypte Marc Fesneau. Donc il arrive au budget en disant : 'Je vais aller au bout de ce que je pense, et de ce que les autres pensent que je ne vais pas faire."

La réponse des oppositions est immédiate. "Il faut faire partir Bayrou. C'est pire que prévu", tonne sans surprise l'insoumis Eric Coquerel. Plus ennuyeux pour le maire de Pau, le PS ne semble pas réceptif. Olivier Faure juge sur BFMTV "ce budget injuste" et considère que "la seule perspective est la censure". Et ce n'est pas du côté du RN qu'il va trouver du soutien. "Si François Bayrou ne revoit pas sa copie, nous le censurerons", menace Marine Le Pen.

L'été ne change pas les positions des uns et des autres. Face au blocage de la situation, François Bayrou tente, à l'occasion de sa conférence de presse de rentrée, le 25 août, un électrochoc en convoquant un vote de confiance. Un choix, un pari, qui conforte les observateurs dans leur analyse : le chef de file centriste veut préparer sa sortie et n'a aucune intention de parvenir à un compromis. "François Bayrou donne l'impression qu'il a envie de partir", ironise le socialiste Philippe Brun sur franceinfo. "Il ne prépare pas le budget avec l'idée qu'il s'agit d'un budget pour se faire sortir, mais il élabore un budget qui ne dévoie pas le combat qu'il mène depuis 30 ans", tient à nuancer Marc Fesneau.

Quel avenir politique après Matignon ?

Pendant deux semaines, François Bayrou, qui apparaît plus isolé que jamais, multiplie les interviews, alors que les scénarios de son remplacement se préparent en coulisses. Il pourra peut-être se consoler avec le soutien de celui qui est sans doute le mieux à même de le comprendre : son prédecesseur à Matignon, censuré en décembre 2024. "Je suis bien placé pour connaître la difficulté de l'Assemblée actuelle. Il y a trois grands groupes qui ne veulent pas travailler les uns avec les autres. C'est ça le problème", commente Michel Barnier auprès de franceinfo. 

"Il a fait tout ce qu'il pouvait. En honnête homme."

Michel Barnier, ancien Premier ministre LR

à franceinfo

Comment François Bayrou peut-il rebondir ? Lorgne-t-il une candidature à la présidentielle en 2027 ? Vendredi sur RTL, il a semblé fermer cette perspective. "Ce n'est pas mon objectif aujourd'hui", assure-t-il. Faut-il vraiment le croire ? "Il est à un moment de sa vie politique où il est assez libre pour ne pas gâcher toute une vie d'engagements, juge Marc Fesneau. Je ne crois pas ou je ne crois plus qu'il a la présidentielle comme principal horizon".

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