"S'il n'y a pas ce qu'on réclame, il s'en ira à la fin de la semaine" : pourquoi Sébastien Lecornu doit donner des gages au PS

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Sébastien Lecornu, Premier ministre, a réuni son équipe gouvernementale à l'hôtel Matignon à Paris, le 13 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)
Sébastien Lecornu, Premier ministre, a réuni son équipe gouvernementale à l'hôtel Matignon à Paris, le 13 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)

Les socialistes décideront après la déclaration de politique générale du Premier ministre mardi à l'Assemblée s'ils déposent ou non une motion de censure. Ils attendent la suspension de la réforme des retraites et davantage de justice fiscale et sociale.

Le gouvernement Lecornu II, avec environ une trentaine d'heures de durée de vie, a déjà tenu plus longtemps que le premier qui a explosé en une nuit. Une maigre consolation pour un Premier ministre qui va devoir échapper à la censure alors qu'il doit prononcer sa déclaration de politique générale (DPG), mardi 14 octobre à l'Assemblée.

Lundi, les insoumis ont annoncé le dépôt d'une première motion. "La censure de Sébastien Lecornu s'impose. Après sa chute, le président de la République ne pourra plus échapper à ses responsabilités" ont-ils écrit. Le groupe RN et le groupe UDR d'Eric Ciotti en ont fait de même quelques heures plus tard. Une nouvelle fois, l'extrême droite appelle à une dissolution. "Seul le retour au peuple permettra de faire trancher les grands choix politiques nécessaires pour sortir de ces multiples crises. Le nouveau gouvernement nommé par le président de la République n'est, lui, pas en capacité de le faire", est-il écrit. Les deux motions de censure seront examinées jeudi matin à l'Assemblée nationale, a appris franceinfo mardi.

Le RN a annoncé qu'il voterait la motion des insoumis. "On est ouverts, on a déjà voté une motion de censure déposée par la gauche, explique le député RN de l'Oise, Philippe Ballard, sur franceinfo" promet-il. Toutefois, en additionnant les seules voix du RN, de l'UDR et de LFI, soit 210 députés, les 289 votes nécessaires pour renverser le gouvernement ne sont pas atteints.

Les Ecologistes doivent prendre leur décision lors d'une réunion de groupe mardi matin. La patronne du parti, Marine Tondelier, qui n'est pas élue au Palais-Bourbon, a plutôt envoyé des messages allant dans le sens d'une censure. Le groupe Gauche démocrate et républicaine, où siègent les communistes, penche également du même côté. Le total s'élèverait alors à 265 sièges. Le vote d'une partie des 69 députés socialistes et apparentés pourrait donc suffire à renverser le gouvernement de Sébastien Lecornu. "Tout le monde sait bien que nous sommes l'une des clés dont sa survie dépend", résume Dieynaba Diop, députée PS des Yvelines.

La suspension de la réforme des retraites, nécessaire mais pas suffisante

Le groupe socialiste arrêtera sa position après la déclaration de politique générale. Qu'en attend-il ? "On nous a promis un tournant. On ne peut pas, maintenant, nous proposer un rond-point", explique Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, dans une interview à Libération. "Sébastien Lecornu est conscient de notre détermination, confie à franceinfo Romain Eskenazi, porte-parole du groupe. Il est dans un numéro d'équilibriste. Avec le casting gouvernemental, il a tenté de rassurer le socle commun. Mais, lors de sa DPG, il doit nous rassurer et faire un pas vers nous. A défaut d'une rupture sur les noms, on veut une rupture sur le fond."

Si le débat s'est focalisé sur la question des retraites ces derniers jours, les socialistes réclament aussi un changement par rapport au budget préparé par François Bayrou. Ils veulent notamment davantage de justice fiscale, avec une taxation des plus hauts revenus, et plus de justice sociale, grâce à des gestes en faveur du pouvoir d'achat. Une motion de censure sera déposée si les "exigences" du PS "n'étaient pas satisfaites", et si Sébastien Lecornu ne prononce pas les mots "suspension immédiate de la réforme des retraites", prévient Dieynaba Diop, porte-parole du PS, sur franceinfo. "Beaucoup de choses se jouent sur la suspension de la réforme des retraites mais tout ne se joue pas que là-dessus", appuie un cadre du groupe.

Dans Libération, Boris Vallaud pousse le curseur au maximum en évoquant une "suspension intégrale de la réforme des retraites", afin que tant l'âge légal de départ que l'accélération de la hausse du nombre de trimestres cotisés soient concernés. C'est au-delà de ce qu'a évoqué Emmanuel Macron lors de la réunion avec les chefs des partis vendredi ou même de ce que demande la CFDT. "On a l'impression de voir un haut fonctionnaire qui s'encanaille dans le militantisme partisan", ironise un conseiller de l'exécutif qui observe "une radicalisation" de Boris Vallaud depuis quelques mois.

Les députés PS partagés

Au-delà des prises de position publique des uns et des autres, quel est l'état d'esprit du groupe PS ? "Dans ma circonscription, les Français nous demandent de nous entendre pour assurer de la stabilité", confesse une députée socialiste. "Dur à dire, répond un autre parlementaire, qui a enchaîné les réunions lundi. Les décisions ne sont pas simples à prendre." "S'il n'y a pas le triptyque qu'on réclame [retraites, justice sociale et justice fiscale] et qu'il refait comme Bayrou ou Barnier, il s'en ira à la fin de la semaine", assure Romain Eskenazi.

Une députée juge que "la reconduction de Sébastien Lecornu est une telle gifle que ça a augmenté le niveau d'exigence". "Chez nous, il y en a une dizaine qui peut censurer quoi qu'on dise, de là à doubler, je n'y crois pas", estime plus optimiste un autre cadre du PS.

"On a tellement insisté que je me dis qu'il y a une voie, un chemin étroit."

Un cadre du PS

au service politique de France Télévisions

Si le principe d'une censure est acté, le groupe PS à l'Assemblée devra trancher la stratégie. "Ce qui se passe là, c'est entre le Parti socialiste et le gouvernement. Il serait plutôt normal que si le PS le sanctionne, ce soit par une motion qu'il a déposée lui-même", témoigne un conseiller du groupe. Mais celle-ci ne pourra être examinée que jeudi ou vendredi. Les députés PS peuvent-ils voter alors celle déposée par LFI qui sera discutée avant ? "On voit les choses match après match, on finalisera notre stratégie", complète-t-il.

"C'est sa DPG à 100%"

C'est en ayant conscience de cette menace que Sébastien Lecornu a préparé sa déclaration de politique générale. Il a travaillé tout le week-end sur son contenu. "C'est sa DPG à 100%", confie son entourage au service politique de France Télévisions, même s'il la soumettra à Emmanuel Macron avant de la prononcer dans l'hémicycle. Ses proches gardent le mystère sur les propositions que fera le Premier ministre sur la réforme des retraites. A trop céder à la gauche, ne risque-t-il pas de perdre les députés LR, tandis que le parti s'est déchiré tout ce week-end sur une participation au gouvernement ? "Je pense qu'aucun député LR ne votera la censure ", pronostique un membre du groupe, qui ne souhaite pas une dissolution.

Avant le Conseil des ministres prévu mardi à 10 heures, Sébastien Lecornu a réuni ses troupes lundi en début d'après-midi et a laissé la presse filmer ses premiers mots. "Je mesure chaque risque que vous avez pris. Parce que vous êtes issus parfois de la société civile, vous quittez parfois des situations peut-être plus confortables, en tout cas plus douces, pour venir servir votre pays", a-t-il déclaré, bien conscient de la précarité d'une mission qui pourrait s'arrêter dès cette semaine.

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