Procès de Joël Le Scouarnec : pourquoi certaines victimes s'inquiètent d'une remise en liberté possible vers 2030, malgré sa condamnation à 20 ans de réclusion

Article rédigé par Juliette Campion - envoyée spéciale à Vannes (Morbihan)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Maxime Tessier et Thibaut Kurzawa, les avocats de Joël Le Scouarnec, le 28 mai 2025 au tribunal de Vannes (Morbihan), à l'issue du verdict. (DAMIEN MEYER / AFP)
Maxime Tessier et Thibaut Kurzawa, les avocats de Joël Le Scouarnec, le 28 mai 2025 au tribunal de Vannes (Morbihan), à l'issue du verdict. (DAMIEN MEYER / AFP)

L'ex-médecin a été condamné mercredi à la peine maximale, mais sans rétention de sûreté. Certaines parties civiles sont déjà angoissées à l'idée de le voir recouvrer sa liberté d'ici cinq à sept ans.

Lors de ses derniers mots lundi à l'audience, Joël Le Scouarnec avait affirmé ne souhaiter "aucune mansuétude", demandant juste le droit de retrouver "une part d'humanité". Après trois mois de procès, les cinq magistrats professionnels qui composent la cour criminelle du Morbihan ont condamné, mercredi 28 mai, l'ex-chirurgien digestif de 74 ans à vingt ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté des deux tiers. Soit la peine maximale encourue par le septuagénaire, qui a reconnu l'intégralité des 111 viols et 188 agressions sexuelles, commis de 1989 à 2014 sur 299 victimes, des patients mineurs pour la plupart. 

Ce verdict était attendu au regard de la multiplicité vertigineuse des actes commis. "Les agressions sexuelles et les viols sont rarement sanctionnés de vingt ans de réclusion donc, de ce point de vue, il y a de quoi être satisfait, souligne Frédéric Benoist, avocat de l'association La Voix de l'enfant. Mais en même temps, on peut considérer que la peine est particulièrement clémente et forcément, un peu frustrante, au regard de l'énormité du parcours criminel". 

L'application du "principe de la confusion des peines"

Cette peine de vingt ans de réclusion ne s'additionne pas avec la précédente condamnation de l'ancien médecin, fin 2020, à quinze ans de réclusion criminelle pour des violences sexuelles commises sur quatre enfants. "C'est le principe de la confusion des peines qui vaut en droit français, par exemple lorsque plusieurs condamnations sont prononcées dans une même procédure", décrypte Ludivine Richefeu, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles. 

Au cours de ce deuxième procès, Joël Le Scouarnec a ainsi été jugé pour des centaines de faits différents, mais condamné à une seule peine pour l'ensemble des actes, conformément au droit français. Au moment de son réquisitoire, vendredi, l'avocat général, Stéphane Kellenberger, avait semblé le regretter. Aux Etats-Unis, "où les peines ne se confondent pas, [Joël Le Scouarnec] encourrait 4 111 années de prison, qui seraient ramenées à 2 000 avec les réductions de peine", avait-il calculé, ajoutant : "Mais nous sommes en France et je ne suis pas le législateur." Dans ses motivations, rendues au moment du verdict mercredi, la cour criminelle a elle-même reconnu que Joël Le Scouarnec était "l'impensé du législateur en matière de violences sexuelles sérielles". 

Avant l'ex-chirurgien, d'autres ont écopé de peines qui ont pu sembler trop légères au regard de l'ampleur des faits. Fin 2023, Dino Scala, le violeur de la Sambre, bien qu'ayant été reconnu coupable de 54 agressions sexuelles et viols, n'avait, lui aussi, été condamné qu'au maximum prévu par la loi : vingt ans de prison. Pour remédier à ces lacunes du législateur, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol a déposé en mai 2024 une proposition de loi visant à alourdir la condamnation encourue à trente ans de réclusion en cas de cumul de circonstances aggravantes en matière de viol. Sont notamment visés les viols sériels. Sa proposition a été reprise par le camp gouvernemental sous forme d'amendement dans un texte en discussion au Parlement. "Nous nous battrons" pour faire changer les textes, a prévenu mercredi Manon Lemoine, porte-parole d'un collectif de victimes de Joël Le Scouarnec, à l'issue du verdict. 

Pas de rétention de sûreté 

La possibilité de voir Joël Le Scouarnec sortir de prison effraie les victimes qui, pour beaucoup, souhaitaient qu'une rétention de sûreté soit prononcée à l'encontre de l'ex-chirurgien. Mais la cour n'a pas retenu cette mesure exceptionnelle, qui consiste à placer en centre médico-social fermé un détenu ayant purgé sa peine mais jugé dangereux par une commission spéciale. Elle est rarement prononcée, et principalement pour les délinquants sexuels. Ce dispositif avait été décidé en 2007 par l'ex-président de la République Nicolas Sarkozy, après le viol d'un enfant de 5 ans par Francis Evrard, violeur récidiviste qui sortait de prison. Comme nombre de ses confrères de la partie civile, l'avocat Frédéric Benoist regrette que cette mesure n'ait pas été retenue, car "elle aurait permis de s'assurer d'avoir le moins de risques de récidive possible"

Joël Le Scouarnec ayant reconnu l'intégralité des faits reprochés et ayant attesté "de sa volonté de réparer les conséquences de ses actes", la cour criminelle a estimé que ses chances de récidive étaient relativement faibles et ne justifiaient donc pas de rétention de sûreté.

Un contrôle judiciaire de quinze ans

Dans ses motivations, lues à l'audience, la présidente Aude Buresi a dit avoir "parfaitement entendu les demandes de parties civiles pour que monsieur Le Scouarnec ne ressorte jamais de prison". Mais, a-t-elle prévenu, "il serait démagogique et illusoire de leur faire croire que c'est possible. En l'état, le droit ne le permet pas". 

Alors, quand l'ex-chirurgien pédocriminel pourrait-il sortir de détention ? D'ici cinq à sept ans, d'après les acteurs judiciaires interrogés par franceinfo. "Il faut compter vingt ans de détention à partir du 4 mai 2017", évalue Giovanni Bertho-Briand, avocat de partie civile. Autrement dit l'année du début de la détention de Joël Le Scouarnec après son arrestation pour le viol de sa petite voisine de 6 ans à Jonzac (Charente-Maritime). "Il doit effectuer les deux tiers de sa peine, ça nous emmène donc à mai 2030", poursuit l'avocat. 

Interrogé sur ce point mercredi, son avocat Maxime Tessier table plutôt sur 2032, mais cette date n'est pas synonyme de "remise en liberté automatique", souligne-t-il auprès de l'AFP, précisant que "c'est la date à laquelle [sa peine] serait aménageable". Joël Le Scouarnec ne doit en outre pas être relâché dans la nature sans encadrement, puisque la cour l'a condamné à un contrôle sociojudiciaire sévère de quinze ans. Soit "l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines (...) à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive", rappelle le Code pénal

"Tout faire pour réparer les errements"

L'ancien chirurgien a notamment interdiction d'entrer en contact avec les victimes, une interdiction définitive d'exercer une profession médicale ou une activité en contact avec des mineurs, ainsi qu'une obligation de soins, avec une peine de prison supplémentaire d'une durée de sept ans s'il se soustrait à ces obligations. Parmi l'éventail de possibilités offertes au juge d'application des peines, celui-ci "pourrait aussi par exemple décider de le placer sous bracelet électronique, en lui interdisant de sortir de son domicile à certains horaires", avance Ludivine Richefeu. Pour éviter qu'il ne s'enfuie, il pourrait aussi être imposé à Joël Le Scouarnec de remettre ses papiers d'identité et de pointer dans un commissariat tous les jours. En outre, le septuagénaire n'est pas à l'abri d'un troisième procès, une nouvelle enquête préliminaire ayant été ouverte, fin mars, afin d'identifier d'autres victimes potentielles.

L'avocat Frédéric Benoîst estime que l'institution judiciaire doit désormais "tout faire pour réparer les errements commis en 2005", lorsque l'ex-chirurgien a été condamné pour détention d'images pédopornographiques sans qu'aucune obligation de soin ne soit prononcée, ni interdiction d'exercer. "On n'a pas le droit à l'erreur : il serait proprement hallucinant qu'un jour monsieur Le Scouarnec puisse réitérer un acte criminel", prévient-il. Ce serait "la preuve d'une défaillance spectaculaire"

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.