"Le débat est confisqué" : un an après les législatives, des députés craignent de voir l'Assemblée de plus en plus "contournée"
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Le camp présidentiel est accusé par les oppositions d'avoir court-circuité la chambre haute du Parlement en rejetant deux textes sur l'environnement qu'il défendait pourtant. Derrière cette tactique, la volonté d'éviter l'obstruction parlementaire.
Après un an de tumultes en tous genres, il arrive parfois que le Nouveau Front populaire parle encore d'une seule voix face à l'exécutif. "Vous inventez une nouvelle forme de 49.3, on est en train de marcher sur la tête", lançait l'insoumise Mathilde Panot au gouvernement Bayrou fin mai. "Cette manœuvre est un déni de démocratie grave", embrayait le socialiste Boris Vallaud. Dans leur viseur : l'adoption d'une motion de rejet préalable, par les partisans de la proposition de loi Duplomb, dont le but est notamment de réintroduire un insecticide interdit en France depuis sept ans, pour balayer le texte avant son examen dans l'hémicycle.
A priori contre-intuitive, la "manœuvre" avait un but précis : éviter d'examiner le grand nombre d'amendements déposés par l'opposition, considéré comme une stratégie d'obstruction parlementaire. Rejetée donc, la proposition de loi doit être examinée, lundi 30 juin, à huis clos, par une commission mixte paritaire (CMP) de sept sénateurs et sept députés. L'instance est chargée d'aboutir à un compromis, à présenter au Parlement en vue d'une adoption définitive. Bis repetita une semaine plus tard, cette fois-ci sur la reprise du chantier contesté de l'autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Les défenseurs du projet ont soutenu la motion de rejet des insoumis, adoptée unanimement, pour court-circuiter les très nombreux amendements. Là encore, le texte est directement parti en CMP, sans être examiné ni voté.
"Ils vont essayer de nous refaire une Duplomb"
Cette stratégie irrite la gauche, prise au piège. Après la motion de rejet sur la proposition de loi Duplomb, La France insoumise a répliqué en déposant une motion de censure contre le gouvernement de François Bayrou, accusé de "coup de force antidémocratique" avec une procédure qui "prive ainsi l'Assemblée nationale de toute forme de débat", selon le texte de la motion de censure. Elle n'a pas été adoptée, faute de soutien du Rassemblement national et du Parti socialiste.
Depuis, l'opposition s'inquiète de voir le dépôt massif d'amendements être facilement contourné avec la motion de rejet, qui sert en temps normal aux députés qui sont opposés à un texte. "Non seulement le débat est confisqué, mais un outil constitutionnel est pris et détourné", affirme Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste et social. "Il n'y a pas de violation de la Constitution", nuance le professeur de droit public Thibaud Mulier, même si "on contourne la délibération de l'Assemblée nationale".
"Tout ça mine le processus démocratique, qui consiste à dire 'on discute, on s'oppose, on amende, on vote'."
Thibaud Mulier, professeur de droit publicà franceinfo
Face à cette tactique, la gauche est en tout cas chargée de revoir ses plans pour les prochains textes. A commencer par la proposition de loi sur l'audiovisuel public, qui doit être examinée en séance lundi et mardi. "Ils vont essayer de nous refaire une Duplomb", redoutait mi-juin un député socialiste auprès de France Télévisions. "J'essaie de convaincre les écologistes et les insoumis de ne pas déposer une motion de rejet préalable, histoire de ne pas permettre aux macronistes et à la droite de la voter et d'envoyer directement le texte en CMP."
"La gauche a beau jeu de nous reprocher ça"
Pour l'écologiste Cyrielle Chatelain, ce qui s'est passé avec la proposition de loi Duplomb a en tout cas "débloqué quelque chose dans le bloc gouvernemental". "Même si on avait envisagé le fait qu'ils la déposent", précise-t-elle. De son côté, le bloc présidentiel assume d'avoir recours à cette stratégie du rejet immédiat. "A malin, malin et demi ! Je tiens à vous remercier, car grâce à vous, l'examen du texte sera beaucoup plus rapide, et grâce à vous, l'A69 verra le jour beaucoup plus vite que prévu !", a ainsi lancé le député macroniste Jean-René Cazeneuve, face à la gauche, au moment de l'adoption de la motion de rejet. "La gauche a beau jeu de nous reprocher d'utiliser le règlement de l'Assemblée nationale, alors qu'ils le font à chaque fois", insiste Marie Lebec, porte-parole du groupe Ensemble pour la République, qui assure que la tactique ne vise pas à court-circuiter la chambre basse.
"Il n'y a pas de volonté de notre part de contourner l'Assemblée nationale."
Marie Lebec, porte-parole du groupe macroniste à l'Assemblée nationaleà franceinfo
Pour les macronistes, rejeter un texte permet également de revenir à une version de celui-ci qui trouve davantage grâce à leurs yeux. A rebours de ses alliés du MoDem et d'Horizons, le groupe Ensemble pour la République a ainsi tenté la manœuvre, mardi 17 juin, en votant contre son propre texte avec le projet de loi simplification, trop dénaturé selon lui, notamment sur les questions environnementales. Mais l'Assemblée nationale a adopté de justesse le texte, ce qui empêche les troupes de Gabriel Attal d'arriver à la CMP avec une version qui leur convient mieux qu'une absence de version. "Voter contre, c'est redonner encore la main aux sénateurs. (...) Il faut que nous puissions nous affirmer aussi en tant que représentation nationale", avait prévenu le député centriste Erwan Balanant, porte-parole du groupe MoDem, avant le scrutin.
Motion de rejet préalable ou vote contre, peu importe, finalement : quand un texte est rejeté à l'Assemblée nationale, cela avantage le Sénat, qui redevient central dans cette configuration. Car moins les textes sont votés à la chambre basse, plus le nombre de commission mixte paritaire où les sénateurs sont les seuls à avoir une version à défendre est grand. "C'est une stratégie, pointe Cyrielle Chatelain. Le Sénat est à majorité de droite, donc ce n'est pas au Sénat que le bloc gouvernemental donne la priorité, c'est aux Républicains." Comme la CMP reflète les équilibres politiques de chaque chambre, les élus de droite y sont beaucoup plus nombreux qu'au sein de la seule Assemblée nationale.
Dans les rangs de l'ex-majorité, certains s'interrogent sur cette attitude, avec le choix du gouvernement de donner régulièrement la priorité à des textes défendus par la majorité sénatoriale dans le calendrier parlementaire. "Beaucoup disent qu'on se met dans la nasse avec une proposition de loi d'un sénateur LR, à qui on doit rien. On ne comprend pas trop pourquoi ils font ça", souffle un pilier du groupe macroniste à propos du texte du sénateur Daniel Gremillet sur l'énergie, examiné mi-juin.
"On peut faire plein de choses !"
La tactique interroge aussi sur le rythme parlementaire, qui s'est accéléré. "Pour la proposition de loi sur l'A69, il y avait une majorité pour le texte, mais la motion de rejet préalable a été choisie pour aller plus vite", retrace le constitutionnaliste Thibaud Mulier, qui identifie une "injonction à la rapidité". Cette stratégie n'est pas que l'apanage des députés, avec l'emploi très régulier par le gouvernement de la procédure accélérée, avec "une lecture par chambre, ce qui va dans la dynamique de contraindre toujours davantage le temps parlementaire", poursuit le spécialiste. "Le gouvernement est une victime de l'air du temps, tout doit aller très vite et faire dans le gros rouge qui tache pour faire du buzz", charge Cyrielle Chatelain, pour qui "il y a eu un changement net à l'arrivée de Gabriel Attal [à Matignon, en janvier 2024], avec une accélération lors de la dissolution".
"On a maintenant des textes qui ne sont pas faits pour être inscrits dans la loi, mais pour occuper du temps d'espace disponible."
Cyrielle Chatelain, députée écologisteà franceinfo
Paradoxalement, ce n'est pas forcément des textes très intéressants qui sont examinés. "La machine tourne, des textes passent, mais ce ne sont pas forcément les plus ambitieux", concède un cadre du bloc central.
"On manque un peu d'une vision à long-terme, pour savoir où le gouvernement cherche à nous emmener."
Un cadre macronisteà franceinfo
Pour d'autres parlementaires, les soubresauts récents ne représentent pas un contournement de l'Assemblée nationale, car il reste d'autres outils que les traditionnels débats en séance, comme le travail sur les textes en commission, les commissions d'enquête parlementaires sur des sujets d'actualité, ou des groupes de travail sur des thèmes particuliers. "On n'est pas contournés, on peut faire plein de choses ! Ceux qui s'ennuient, c'est qu'ils n'étaient pas faits pour ça", maugrée un député MoDem. Surtout, le très gros morceau du budget 2026, particulièrement attendu, ne devrait pas laisser beaucoup de temps aux députés pour gamberger.
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