Conditions, coût, réactions : trois questions sur la suspension de la réforme des retraites évoquée par Elisabeth Borne
L'ex-Première ministre, qui avait porté la réforme des retraites de 2023, largement contestée, s'est dite ouverte à la suspension de la loi pour donner des gages à la gauche. Mais une telle décision ne pourra pas être prise dans l'immédiat.
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C'est un totem du camp présidentiel qui se fendille. Elisabeth Borne, architecte de la très impopulaire réforme des retraites de 2023 à l'époque où elle était Première ministre, s'est déclarée favorable à la "suspension" de la mesure, mardi 7 octobre. "Dans le contexte actuel, pour avancer, il faut savoir écouter et bouger", a justifié la ministre de l'Education démissionnaire.
Autre information révélée mardi : le Premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu, a demandé fin septembre au ministère de l'Economie et des Finances d'étudier l'impact du "contre-budget" socialiste présenté le 30 août à Blois (Loir-et-Cher), qui proposait entre autres la suspension de la réforme des retraites.
Concrètement, est-il possible de suspendre cette réforme qui porte progressivement de 62 à 64 ans l'âge légal de départ, et comment ? Eléments de réponse, alors que Sébastien Lecornu mène d'"ultimes négociations" jusqu'à mercredi soir.
1 Que faut-il pour suspendre ou abroger la réforme ?
Pour suspendre ou abroger la loi portant sur la réforme du système de retraite, dont des décrets d'application ont déjà été publiés, il faut adopter une autre loi. "La seule voie serait d'échelonner l'application de la réforme dans un sens qui reviendrait à la suspendre, en proposant un moratoire sur son application, à telles tranches pour telles années. Dans ce cas, le passage par un nouveau projet de loi est nécessaire", expliquait Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public, pour Public Sénat en janvier 2025.
Sous la Ve République, aucun projet de loi n'a jamais été délibéré en Conseil des ministres ni adopté par le Parlement à un moment où le gouvernement était démissionnaire, et donc uniquement chargé des "affaires courantes", ce qui est le cas de l'équipe de Sébastien Lecornu. Pour que la réforme des retraites soit suspendue ou abrogée, il faudra donc dans un premier temps qu'un gouvernement soit nommé.
Il faudra ensuite qu'une proposition (émanant de parlementaires) ou un projet de loi (du gouvernement) soient présentés à l'Assemblée nationale et au Sénat. Un texte aussi sensible ne manquera pas d'être longuement débattu et amendé, ce qui impliquera plusieurs lectures étalées sur plusieurs mois. A moins que le futur gouvernement n'ait recours à l'article 49.3 de la Constitution, ce qui l'exposerait en revanche à une motion de censure.
2 Que coûterait une suspension ou une abrogation ?
C'est l'un des objets de l'étude d'impact demandée par Sébastien Lecornu fin septembre : déterminer les coûts du "contre-budget" socialiste, qui proposait notamment de suspendre la réforme. La Cour des comptes s'était prêtée à l'exercice début 2025, à la demande des organisations syndicales, dans le cadre de la mission flash confiée par François Bayrou sur l'état du financement et les perspectives du système de retraite.
Selon son premier président, Pierre Moscovici, devant le Sénat, en mars, abroger la réforme et autoriser les Français à ouvrir leurs droits à la retraite à 62 ans alourdirait le déficit de "10,4 milliards d'euros en 2035". "Si vous retirez cette réforme, si vous l'abrogez, c'est 10 milliards de plus qu'il faut trouver et qui s'ajoutent aux quelque 6,6 milliards [de déficit déjà prévus] en 2030, [et] aux 15 [milliards] en 2035", ajoute l'ancien ministre, cité par Public Sénat.
"Modifier la réforme des retraites va coûter des centaines de millions en 2026 et des milliards en 2027", prévient également sur France Inter le ministre de l'Economie démissionnaire, Roland Lescure. "Il faut que tout le monde fasse des concessions. Moi, je suis prêt à en faire, mais pas à n'importe quel prix", ajoute-t-il. Dans son "budget alternatif", le PS proposait justement plusieurs pistes d'économies et de recettes, dont l'instauration d'une "taxe Zucman" et la refonte de la fiscalité sur les dividendes et les plus-values.
3 Quelles sont les réactions politiques et syndicales ?
A gauche, l'accueil des déclarations d'Elisabeth Borne est prudent mais positif. "C'est un réveil tardif, mais c'est un réveil positif", a réagi mardi sur France 2 le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, avant de souligner, mercredi, que Sébastien Lecornu n'avait donné "aucune assurance sur la réalité de la suspension" de la réforme. "Il y a un chemin pour obtenir la suspension" de la réforme des retraites, s'est réjoui le coprésident de Place publique, Raphaël Glucksmann. "Il en aura fallu du temps à Elisabeth Borne pour comprendre que sa réforme des retraites, rejetée par 80% des Français, était un problème démocratique et social", note le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, sur X.
Les syndicats ont aussi salué la parole d'Elisabeth Borne. "La volte-face est un aveu : la réforme des retraites est un échec", a réagi la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, qui avertit sur franceinfo qu'une "suspension ne peut être qu'une étape vers l'abrogation". "Démocratiquement, ce serait un signal extrêmement fort", approuve sur France Inter la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, pour qui "entendre des responsables politiques (...) se dire 'écoutons les citoyens et les citoyennes et bougeons sur un certain nombre de lignes', c'est extrêmement important".
Le camp présidentiel, qui a porté la réforme, est partagé. "Nous sommes prêts à temporiser, mais ce n'est pas un retour en arrière", explique dans un jeu d'équilibriste la ministre de la Transition écologique démissionnaire, Agnès Pannier-Runacher, sur LCI. "Au contraire, continuons à affirmer avec force que la réforme des retraites est nécessaire", écrit pour sa part sur X la députée EPR Stéphanie Rist, pour qui il ne faut "jamais choisir la voie de la facilité". "Ça me gêne et je considère que si on devait aller dans cette direction, c'est dans le cadre d'un deal global", a déclaré la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sur RTL.
Au MoDem, l'ex-Premier ministre François Bayrou s'est plusieurs fois dit opposé à une abrogation pure et simple de la réforme et un retour de l'âge de départ à 62 ans. Sa position ferme avait justement provoqué l'explosion du "conclave" qu'il avait pourtant appelé de ses vœux. Mais la députée MoDem des Landes et ancienne ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq, de son côté, juge sur ICI Gascogne qu'"il faut travailler sur les solutions les moins mauvaises pour pouvoir avancer. Si le fait de suspendre ou de mettre un moratoire sur cette réforme des retraites permet d'avancer (...), je n'y vois pas d'inconvénient."
"Une suspension de la réforme Borne, c’est non", tranche de son côté le parti Horizons, a appris franceinfo auprès de l'entourage d'Edouard Philippe. L'ex-Premier ministre précise qu'il est "ouvert au compromis sur des mesures qui améliorent la situation des femmes actives et la prise en compte de la pénibilité", mais qu'"il faut travailler plus".
Chez Les Républicains, c'est non. "C'est clairement un signal à la gauche" et "une ligne rouge" pour le parti, prévient sur X la porte-parole de LR, Agnès Evren. "C'est grotesque de les voir supprimer eux-mêmes leur propre réforme", estime la sénatrice de Paris, qui ajoute : "Et qui paiera l'addition de ce recul ? Dix milliards d'euros a minima par an ? Les Français ! Irresponsable !"
A l'heure de l'écriture de cet article, le Rassemblement national avait peu réagi aux propos d'Elisabeth Borne. Le parti s'est depuis longtemps présenté comme opposé à la réforme des retraites et favorable à son abrogation, mais préfère aujourd'hui renouveler ses appels à la dissolution de l'Assemblée. "La 'suspension' de la réforme des retraites est un leurre qui transpire l'opportunisme de deux camps aux abois", critique toutefois sur X la députée RN de Gironde et vice-présidente du RN Edwige Diaz, pour qui "le PS et les macronistes sont prêts à tout pour garder leurs sièges quelques semaines de plus".
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